Rencontre avec Abel Quentin, auteur

Après « Sœur » et « Le voyant d’Étampes », cet écrivain et avocat signe « Cabane ». Le récit, pour ses quatre chercheurs, de l’après-« rapport 21 ». Celui par lequel, dès 1973, ils annonçaient l’effondrement de notre monde au cours du XXIèmesiècle, en l’absence d’un net ralentissement des croissances industrielle et démographique. Un texte saisissant. Avant la venue d’Abel Quentin à l’Athenaeum ce 19 novembre, petit tour du sujet…

Comment vous est venue l’idée de ce 3ème roman ?

Cela faisait quelque temps que le thème de l’effondrement m’intéressait. Il y a trois ans, la lecture du « rapport Meadows » a été l’étincelle qui m’a conduit à écrire ce roman. Mais aussi celle de « Jan Karski », de Yannick Haenel, qui, à propos d’un tout autre sujet, évoque la solitude du lanceur d’alerte. Celui qui doit transmettre une information cruciale, mais que personne n’écoute…

Après la radicalisation islamiste dans « Sœur », les réseaux sociaux et dérives identitaires dans « Le voyant d’Étampes », vous continuez d’explorer la noirceur de notre monde. Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans les excès de nos sociétés ?

Je ne sais pas. La laideur très spécifique de notre époque m’a toujours inspiré, ainsi que les crises : celles de la société, et celles des individus.

Qu’on ne se méprenne pas, votre roman est une fiction. Vous imaginez la façon dont les auteurs du rapport vivent avec « l’anxiété que provoque la peur de l’effondrement » annoncé. C’est, au fond, davantage une aventure humaine, des histoires très personnelles, chacun d’eux finissant par se créer sa propre « cabane », plutôt qu’une analyse d’un système Monde à la dérive ?

Oui. Les personnages des chercheurs sont au cœur de l’intrigue. J’ai travaillé pour qu’ils ne soient pas des matricules ou des idées, mais bien des êtres de chair et de sang. Des êtres faillibles, complexes.

Il n’y a pas que les quatre auteurs du rapport dans votre livre. Un 5ème personnage apparaît : un journaliste qui décide d’enquêter sur le devenir des chercheurs en question. Il se dit çà et là qu’il y a pas mal de vous dans ce pigiste. Est-ce vrai ? En quoi ?

Sans doute. Rudy, le journaliste, incarne l’opinion moyenne, qui sait plus ou moins que l’urgence écologique est là, mais parvient à la mettre à distance, pour vivre dans une forme de tiédeur confortable. Au cours du récit, à mesure qu’avance son enquête, Rudy sort de sa torpeur, il est saisi à la gorge par l’angoisse.

Vous l’avez dit, « Cabane » s’appuie sur une réalité première, la publication du « rapport Meadows », mais convoque aussi bien d’autres faits récents pour étayer son propos. De sorte que le lecteur s’interroge en permanence : réalité ou fiction ? Pourquoi cette confusion savamment entretenue ?

Ce qui est très clair – cela figure même à la première page de ce roman, dans une note au lecteur -, c’est que le « rapport 21 » est directement inspiré du « rapport Meadows », mais que les personnages des chercheurs, eux, ont été inventés de toutes pièces. Pour le reste, c’est vrai : j’aime faire se croiser personnages fictifs et personnages réels, comme Theodore Kaczynski, par exemple (dit « Unabomber », ndlr). Mais, dans mon esprit, les personnages de fiction existent vraiment.

Une autre particularité de votre ouvrage tient à son style, majoritairement indirect, avant de convoquer le « je » sur son dernier tiers. C’était une façon pour vous d’entrer dans une nouvelle partie du livre, le thriller en l’occurrence ?

Oui. C’était une rupture de ton nécessaire, je crois. Le « je » permet d’avancer « caméra embarquée » dans le récit. On passe d’une caméra montée sur un drone à une GoPro, si vous voulez.

C’est une toile d’Edward Hopper, « People in the sun » (1960), qui a été choisie pour illustrer la première de couverture. Pourquoi ? Que dit-elle de votre propos ?

Chacun est libre de l’interpréter comme il l’entend. On pourrait être tenté de voir dans ces personnages qui somnolent, aveuglés par le soleil, une métaphore de notre humanité zombie, qui marche vers l’abîme.

Et vous dans tout cela, comment avez-vous vécu ce rapport ? A-t-il laissé des traces ? Lesquelles ? 

Pour moi, cette lecture a rebattu énormément de cartes. Dans ma vision politique du monde d’abord. S’agissant de mon mode de vie ensuite, j’ai rectifié certaines choses. Pas assez…