Rencontre avec Sébastien Lézier, président-fondateur de Maison Château Laguiole

Après avoir vécu plusieurs vies, en France comme l’international, presque toujours dans l’univers du vin, ce Chambérien crée en 2008 la marque de couteaux de sommelier Ligne W, avant de racheter neuf ans plus tard, « la » référence absolue du marché : Château Laguiole. Retour avec lui sur son parcours, ses valeurs, ses défis…

Comment êtes-vous venu aux couteaux de sommelier ?

Après des études à Beaune – les meilleures de ma vie ! – en master « Connaissance et commerce des vins », j’étais pris en stage chez ChateauOnLine. C’était la grande époque des premières start-up françaises. En quelques semaines, je devenais responsable des approvisionnements ; en 1 mois, l’entreprise levait 30 millions de francs et, en 1 an, elle passait de 10 salariés à 100. S’en suivaient ma première création d’entreprise – un échec -, des expériences dans deux domaines, dont Lou Dumont de Koji Nakada, un ami de promotion, puis un départ pour la Chine, en 2004.

La Chine… ?

Oui, j’accompagnais ma compagne d’alors. Je pensais y faire un passage éclair. J’y suis resté plus d’une dizaine d’années. D’abord, comme directeur commercial de Summergate, l’un des principaux importateurs de vins fins du pays. Là encore, des années fastes : nous commandions à tout va du Lafite, du Petrus, du Hugel… Ensuite, à mon compte, après m’être lancé, en 2007, dans une activité de trading d’accessoires du vin. La crise de 2008 changeait la donne : je me persuadais de l’intérêt de développer une marque autour de mes propres produits, en l’occurrence, des tire-bouchons, et lançais Ligne W, depuis la Chine toujours. W pour « wine », « world », « we together »… Réaliser des objets qui participent à une ambiance de partage, à table, me portait déjà. Reste qu’entre la théorie et la pratique, il y a un gap que je ne soupçonnais pas. Un dessin industriel ne suffit pas…

Le couteau de sommelier s’est avéré beaucoup plus complexe à réaliser que vous l’imaginiez ?

Oui ! Cela fait appel à des notions de force, de levier, de distance… Bref, à des calculs assez poussés pour déterminer comment extraire le bouchon de manière simple. Si je n’avais pas eu à mes côtés une ingénieure qui venait de chez Philips, je n’aurais jamais pu sortir un tel produit. Car, non seulement, nous voulions que nos couteaux de sommelier soient efficaces et solides, mais aussi fallait-il qu’ils soient évolutifs et ce, sans peser sur les stocks. D’où l’idée d’avoir, d’un côté, une structure métallique centrale et, de l’autre, à fixer dessus, un manche qui donne toute sa valeur au tire-bouchon. Le tout fabriqué et assemblé en Chine. Jusqu’à ce que nous décidions de monter en gamme et de chercher à produire davantage en France. Fort de 600 ans d’histoires en coutellerie, Thiers s’est vite imposé. Là, je disposais de l’ensemble des savoir-faire nécessaires au redéploiement imaginé. Petit à petit, si la partie en métal restait l’apanage de la Chine, le reste, soit 90% des coûts du produit, était transféré à Thiers, auprès de dizaines de partenaires différents, suivant les matériaux utilisés et les finitions souhaitées.

Car, chacune des collections de Ligne W dévoile un univers qui lui est propre…

Tout à fait. La ligne « Iroquois » s’inspire des valeurs ancestrales des Amérindiens, que sont la convivialité, l’accueil et le respect de la nature. Pour leur fabrication, nous avons donc recours à du plastique végétal ou à de l’hévéa, issu de forêts plantées et gérées de manière responsable. « Signature » mise sur l’élégance de formes arrondies, épurées, et de matériaux nobles comme l’olivier, l’ébène, la corne blonde… Avec son manche réalisé à partir de douelles de fût de chêne, « Origine » a été imaginé pour les passionnés du vin. Plus contemporain et citadin, « Urban » invite des artistes street art à illustrer ses manches…

Quelle est la cible ?

Tout le monde ! Je voulais éviter de tourner en rond. C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’un tire-bouchon. Le produit est certes spécialisé, assez technique, mais il touche aussi bien les particuliers que les professionnels du vin. 

Et Château Laguiole dans tout ça ? Comment avez-vous acquis la fine fleur des couteaux de sommelier ?

Une autre longue histoire. Il se trouve que l’importateur aux États-Unis de Ligne W distribuait aussi Château Laguiole. À l’occasion d’un salon à Chicago, je lui manifestais mon intérêt pour cette marque d’exception. Elle avait été créée en 1993 par le sommelier français Guy Vialis pour, elle aussi, donner davantage d’âme à ce produit du quotidien qu’est le tire-bouchon. Et puis, elle complétait parfaitement notre offre. Là où les collections de Ligne W étaient vendues entre 10 et 200€, celles de Château Laguiole débutaient à ce prix-là. Reste que la marque n’était pas à vendre. Jusqu’à ce qu’elle le soit, des années plus tard. Au terme d’une interminable bataille et de montagnes russes émotionnelles, je rachetais Château Laguiole fin 2017, au nez et à la barbe de grands noms de la coutellerie. Le début de nouveaux problèmes… À Thiers, son fabriquant me faisait défaut. Je disposais de la marque, mais pas de ses moyens de production. Fin 2019, je finissais par acquérir un sous-traitant thiernois suffisamment qualifié pour se lancer dans l’aventure.

Qu’est-ce qui distingue un Ligne W d’un Château Laguiole ?

Beaucoup de choses. La partie métallique de l’un continue d’être produite en Chine, de manière à garantir des prix plus compétitifs, alors que l’autre est entièrement fabriqué en France. Les couteaux de sommelier de Ligne W disposent d’un système de double-levier pour faciliter l’extraction du bouchon, contre un seul levier pour ceux de Château Laguiole, de façon à ce que le geste reste le plus pur et le plus fluide possible. De fait, les particuliers apprécient plutôt les premiers et les sommeliers les seconds. Et puis, les produits Château Laguiole sont garantis à vie. Une carte de membre avec QR code développée par nos soins permet d’activer cette garantie, après avoir renseigné votre email et votre pays d’origine. Une protection supplémentaire pour nos clients et pour nous-mêmes. Tout faux produits peut facilement être détecté et toute revente illicite aussi. À l’évidence, Château Laguiole nous a fait entrer dans un autre monde : nous voilà partenaires de l’Union de la Sommellerie Française et, bien sûr, de l’Association de la Sommellerie Internationale, puisque nous perpétuons la tradition initiée par Guy Vialis de développer, avec le lauréat du concours annuel du « Meilleur Sommelier du Monde », son couteau de sommelier. Celui imaginé par Raimonds Tomsons est en cours de développement… 

Justement, pour finir, quels sont vos principaux projets ?

Après nous être beaucoup consacrés à la production, l’heure est à la communication. La majeure partie de nos investissements actuels porte sur Internet. D’ici, 1 ou 2 mois, notre site sera en ligne, dans sa première version. Il s’enrichira d’un configurateur qui permettra à nos clients de personnaliser leur couteau de sommelier et de le commander en ligne en quelques clics. J’arrive à un moment de ma vie où toutes les compétences acquises lors de mes expériences passées sont mobilisées… C’est exaltant.