Rencontre avec Michel Tolmer, dessinateur, graphiste, affichiste

Entre deux étiquettes de bouteille, le blog Glougueule et les bandes dessinées Mimi, Fifi & Glouglou, ce citadin pur jus, mordu de vins nature, revient pour l’Athenaeum sur son parcours, ses rencontres, sa cave, ses projets…

Comment êtes-vous devenu graphiste ?

Un héritage familial, si l’on peut dire. Mon grand-père était dans le cartonnage et l’édition publicitaire, sur l’Île Saint-Louis, à Paris. Avec d’autres, il avait créé un métier, celui d’intermédiaire entre les imprimeurs et les annonceurs de luxe. Donc lui recrutait des dessinateurs et des artistes pour cet atelier familial que mon père a repris par la suite. J’ai donc vécu entouré de bouquins, d’images… Sa clientèle comptait des grands magasins, des bijoutiers, des confiseurs et… des champagnes et cognacs. Cela dit, à la maison, même si mes parents buvaient, le vin ne les passionnait pas. Bref, par atavisme, je suis rentré à l’École Supérieure d’Arts Graphiques pour être formé à diverses disciplines autour de l’image : dessins, illustrations, typographie… En sortant de là, en 1982, je me suis très vite mis à mon compte. Ça correspondait davantage à ma façon de voir les choses…

Et le vin dans tout ça ?

Parallèlement à mes études, j’ai commencé à m’y intéresser. J’aimais bien les bistrots, les restaurants… Comme une attirance. Le vin est un produit tellement merveilleux. Des baies qui, par fermentation, donnent un spectre d’arômes extraordinaire : cette alchimie est fascinante. Petit à petit, j’ai donc sympathisé avec le caviste de mon quartier, qui, de conservations en déjeuners, m’a fait rencontrer des vignerons. Et c’était parti…

Il n’était pas question alors de vins nature ?

Non, pas encore. À Paris, dans les années 1980, les proprios de quelques bars à vins s’étaient mis en tête de défricher la France entière, sans œillère, en quête de qualité et de moins d’intrants. C’était l’époque du Café de la Nouvelle Mairie, des Envierges, des Chansons… Les prémices des vins naturels.

Quel vigneron a le premier fait appel à vous pour ses étiquettes ?

Le tout tout premier est Charles Guerbois, en Touraine. Il a arrêté maintenant, pour prendre de la hauteur : il est devenu aviateur. Il a été suivi de très près par un de ses copains : Pierre Breton. Je l’ai rencontré par hasard. Il circulait dans Paris, sur sa petite 125. J’ai fait plein de choses depuis, avec Catherine et lui…

Quels plaisirs trouvez-vous dans cette activité-là ?

Ils sont nombreux. Dans un premier temps, ça m’a centré, en me donnant un sujet sur lequel me focaliser. Au-delà, les vignerons me fascinent. Ils sont à l’opposé de moi, qui suis farouchement citadin. Eux, en paysans convaincus, vivent dans la nature, tentent de l’organiser… Mieux, ce sont quelque part ces sorciers qui arrivent à produire des délices absolus. Car, au-delà des concepts, des dogmes même malheureusement, le vin est fait pour être bon !

Comment se passe la réalisation d’une étiquette ?

Dans un premier temps, ce travail se faisait très simplement, sur un coin de table, dans un bistrot, un restaurant… C’est comme ça que les vignerons me sollicitaient. Ils ne savaient pas trop faire autrement. Et eux avaient besoin d’étiquettes. Vin et image vont de pair, depuis toujours. Aujourd’hui, c’est à chaque fois différent. Chaque vigneron a son caractère, ses vins… Moi, j’essaie modestement de me mettre à leur service et d’habiller leurs produits à partir d’idées, d’images… Les premières prises de contact des buveurs avec les vins en question.

Dans ce domaine, vous dîtes que la Bourgogne est une région difficile à traiter…

Mes étiquettes « rock’n roll » se prêtent davantage à des vignerons qui ont besoin de crier le plus fort possible pour mieux se faire entendre. Mais, dans le cas de la Bourgogne, celui d’un vignoble arrivé à une telle apogée, il y a plus à perdre qu’à gagner, à adopter ce genre de style. Ici, certains codes sont établis. Les bonnes manières s’imposent…

Cela explique la « sagesse » des étiquettes que vous avez réalisées pour Fanny Sabre ?

Sagesse : oui et non. Elles témoignent d’une douce folie aussi. C’est un peu le reflet de ce que je crois avoir compris d’elle. Dans ce cas précis, j’ai voulu respecter les codes bourguignons, mais avec des couleurs fortes. Une étiquette doit pouvoir être repérée très facilement au milieu des autres. Elle doit se distinguer de loin. J’en suis convaincu.

Il n’y a pas que les étiquettes de vin dans votre vie. Il y a aussi votre blog Glougueule et vos bandes dessinées Mimi, Fifi & Glouglou : quelle est leur genèse ?

Glougueule est le fruit d’une rencontre avec Philippe Quesnot, l’auteur de Trente nuances de gros rouge. Vous l’avez lu peut-être… Je l’espère. Si ce n’est pas le cas, c’est tout aussi bien : vous aurez le plaisir de le lire. Un mec très très drôle, grand amateur de vins naturels, entre autres, et, en même temps, très fan de bandes dessinées, au point de sympathiser avec bon nombre de dessinateurs. On ne pouvait que se rencontrer. De là est née une double exposition à Nice, en 2003, puis, à coups de jeux de mots débiles, des réunions « Tu peux r’boire », des tee-shirts « Ivre au chai » et un blog, Glougueule, qu’il a fallu très vite alimenter. Philippe faisait des photos de vignerons doux dingues, flanqués de vraies-fausses lunettes, qu’il légendait. De mon côté, quand je n’essayais pas de l’imiter – en faisant moins bien -, je publiais quelques illustrations. Au bout d’un moment, l’idée de réaliser une bande dessinée pour le blog m’est venue, à la manière de Pierre Mortel, mon neveu. Si, sur une version papier, toute une page s’affiche sous vos yeux ; à l’écran, les cases apparaissent l’une après l’autre. Je trouvais cette dynamique intéressante. L’effet de surprise peut être total. J’ai griffonné trois personnages, j’ai trouvé leur nom et en avant… Je publiais plus ou moins régulièrement. Ça plaisait bien. Suffisamment pour que Sabine Bucquet des Éditions de l’Épure me propose d’éditer une première bande dessinée, puis une seconde et, enfin, une troisième. C’est elle qui en a fait l’objet que vous connaissez…

Et, dans ce cas précis, l’inspiration, d’où vous vient-elle ?

Je suis un peu dans le « milieu » depuis de nombreuses années, à rencontrer des professionnels du vin et de la restauration à tout va. J’écoute, j’observe et je digère. Enfin, j’essaie… Un vigneron peut vous dire noir et l’autre blanc. Ils prennent parfois des chemins totalement opposés pour arriver au même résultat. Les dégustateurs méritent, eux aussi. Leurs jugements, ici un peu perdus, là très affirmatifs, m’étonnent, voire me font marrer…

Depuis sa création, Glougueule s’est ouvert à de nombreux artistes autres que vous…

Oui, telle était notre volonté, dès le début. Et puis, comme je vous l’ai dit, Philippe a des tas d’amis qui sont de merveilleux dessinateurs : Lefred-Thouron, Hervé Baru, Jacques Ferrandez, Emmanuel Guibert, Daniel Goossens, René Pétillon et j’en passe… Souvent, Quesnot se charge de faire leur éducation du vin, comme fournisseur et initiateur. De mon côté, je me retrouve dans la position de directeur artistique, auprès de gens que je respecte un peu trop. C’est pas toujours facile… Lorsqu’ils ont carte blanche, pas de problème. Mais, quand je dois les aiguiller, c’est pas ce que je préfère… 

Quel amateur de vins êtes-vous ?

J’aime bien les choses très différentes. Le côté surprise. Et puis, mes goûts ne cessent d’évoluer. En ce moment, si je suis très demandeur de vins en infusion, buvables, faciles – j’ai notamment en tête un super gamay du Jura -, j’ai parfois envie de plus de profondeur, de structure. Dans un monde idéal, j’aimerais ne boire que des très très bons vins, mais ils sont malheureusement trop chers…

Et, dans les tuyaux, quoi de nouveau ?

Un tome 4 de Mimi, Fifi & Glouglou se prépare. Je pensais à m’arrêter à 3 et puis, j’ai changé d’avis : ça m’amuse trop de faire ça…