Rencontre avec Jean-Baptiste et Benoît Bachelet, vignerons

Conversion au bio et à la biodynamie, vinification parcellaire, réduction des temps d’élevage… Un à un, les deux frères évoquent leurs principaux chantiers depuis la reprise en mains du domaine de leur père, Jean-Claude Bachelet, à Saint-Aubin. En filigrane, un profond respect pour leurs aînés, leurs collègues, la vigne… Touchant ; jusque dans leur entente plus que parfaite.

Vous êtes à la tête d’un domaine séculaire…

J.-B. : Les premières traces de son existence dans la famille remonte à 1620. Les vignes appartenaient alors à un certain… Pierre Bachelet !

B. : Surtout, elles se concentraient davantage sur Chassagne-Montrachet. Ce n’est que vers les années 1900 que notre famille est venue s’installer à Saint-Aubin. Et encore, lorsque notre père a repris le domaine de 7 à 8 hectares en 1965, après le décès de notre grand-père, plus de la moitié était plantée en pinot noir. Nous avions encore par exemple des Puligny-Montrachet et des Chassagne-Montrachet 1er Cru « Les Macherelles » en rouge. Sans parler des parcelles de gamay ! Le chardonnay était minoritaire.

À quoi ressemblait le travail de la vigne alors ?

B. : Tout se faisait encore au cheval. On en avait un. Plutôt fainéant d’ailleurs, d’après les rumeurs ! Heureusement pour notre père, il a été l’un des premiers à ramener un enjambeur au village. C’était un féru de mécanique et d’électricité. Au point de nous demander s’il se destinait vraiment à la vigne : il n’avait que 19 ans lorsqu’il a hérité du domaine…

J.-B. : Et il n’avait qu’un employé ! Alors, forcément les désherbants chimiques… Il n’avait pas les moyens de faire autrement.

Et vous dans tout cela ?

B. : Je suis arrivé en 2000, à 20 ans, juste après la « viti’ ».

J.-B. : Et moi, 5 ans plus tard.

B. : On a grandi avec le domaine. Notre école maternelle, c’était les vignes. Il allait de soi qu’on reviendrait là. Notre père avait besoin de nous. Il avait porté seul le passage à la bouteille, s’investissait beaucoup dans la vie de la commune… Il avait donné. De mon côté, je voulais apprendre le métier à ses côtés, partager son vécu, profiter de son expérience, histoire de passer enfin de l’enseignement à la pratique, tout en sachant que mon frère et moi pourrions parfaitement apporter nos idées…

J.-B. : Note père a toujours été très ouvert.

Justement, quels ont été vos premiers chantiers ?

B. : J’avais effectué des stages, notamment chez Leflaive, un des pionniers de la biodynamie. J’y ai découvert une autre approche du bio, loin de l’image baba cool…

J.B. : La preuve qu’il est possible d’être en bio, sans avoir de vignes en friche.

B. : Du coup, début 2000, on a supprimé les désherbants chimiques.

J.-B. : C’était d’autant plus faisable qu’avec mon frère, il y avait désormais une personne en plus au domaine pour labourer.

B. : Sur notre lancée, en 2012, on a commencé à faire nos premiers essais bio sur quelques parcelles. On est assez cartésiens, mon frère et moi : la preuve par les faits, ça compte… En même temps, pour être vraiment honnêtes, on devait déjà être bien convaincus : les vignes en question étaient celles de notre Bienvenues-Bâtard-Montrachet et de notre Chassagne-Montrachet 1er Cru « Blanchot-Dessus », nos deux appellations les plus prestigieuses.

J.-B. : Il n’empêche, il nous paraissait nécessaire d’avancer par étapes. On voulait être sûrs de pouvoir gérer ce passage en bio, d’arriver à contenir les maladies à l’échelle de tout le domaine.

B. : Pour ça, on s’est entourés. On n’a pas entamé ce long chemin, seuls. Nos amis vignerons Thibault Morey et Benoît Moreau l’ont fait avec nous, chacun sur son domaine, mais, ensemble, dans le partage des idées, des conseils… On s’est équipés aussi. Car, les outils performants existent.

J.-B. : On a notamment développé avec Faupin un prototype de chenillard équipé de descentes de pulvérisation aussi efficaces que sur un enjambeur. On s’est mis au petit tracteur tondeuse, pour passer entre les rangs sans abîmer les pieds, de façon à disposer d’un enherbement contenu en hiver.

B. : Sans tout ce matériel, on n’aurait jamais pu se mettre au bio et convertir entièrement le domaine en 2016, avant d’obtenir notre certification en 2023. Un parti pris bénéfique pour la vigne et les vins certes, mais aussi pour nos équipes et nous-mêmes. Un sentiment de fierté vous gagne. La valeur accordée à votre travail n’est plus la même.

Vous parliez du bénéfice de cette conversion au bio pour la vigne et les vins… Qu’avez-vous constaté ?

B. : La vigne s’est régulée. Elle est devenue moins dépendante du millésime. Si je prends l’exemple de nos Saint-Aubin 1er Cru « En Remilly » et Chassagne-Montrachet 1er Cru « La Boudriotte », le passage en bio a stabilisé une production très importante par le passé.

J.B. : Une conséquence directe du labour, selon moi.

B. : Côté vins, l’équilibre s’en ressent. Ils en ressortent plus précis…

J.-B. : Moins flatteurs peut-être, mais plus complexes.

Et la certification, elle, qu’a-t-elle apporté de plus ?

B. : La preuve que nous sommes parfaitement en accord avec ce que nous disons çà et là, en particulier à nos clients. Ce ne sont pas que des mots, mais des pratiques avérées. J’y vois une forme d’honnêteté vis-à-vis d’eux et de nous-mêmes.

J.-B. : Au-delà de ça, comme nous le faisaient remarquer les agents certificateurs, plus les vignerons font cette démarche, plus ils sont suivis par d’autres encore. C’est une question de dynamique.

De là à la biodynamie, il n’y a qu’un pas…

B. : Il était impensable pour nous de faire du bio sans faire de biodynamie. C’est une question de bon sens.

J.-B. : Aujourd’hui, on peut très bien passer au bio, sans pour autant avoir de profondes considérations pour la plante ; je veux dire par là, essayer de renforcer ses défenses naturelles. Ce n’est pas notre façon de voir les choses. La vigne n’est pas un outil de production, mais un être vivant. La respecter s’impose. C’est ce qu’apporte la biodynamie, dans la continuité logique du bio.

B. : Donc, on travaille avec le calendrier lunaire, les jours fruits, les jours racines, les cornes de vache, les tisanes…

Pourtant, des scientifiques remettent en cause le bienfondé de ces pratiques…

J.-B. : Ce n’est pas ce que l’on constate. Pourquoi le même vin serait-il clair un jour et trouble le lendemain ? Une influence extérieure joue, nécessairement…

B. : Regarder la luminosité que l’on peut observer un soir de pleine lune. C’est impressionnant ! Au nom de quoi la vigne y échapperait-elle ?

Aujourd’hui, le domaine s’est agrandi, il s’est davantage tourné vers les blancs : vous avez donc dû aussi pas mal planter ou replanter…

B. : Entre Saint-Aubin, Chassagne-Montrachet et Puligny-Montrachet, on est à 10,5 hectares au total, pour 40.000 bouteilles par an en moyenne, réparties sur 20 appellations, dont 16 de blancs. Donc, oui, il y a eu quelques acquisitions, notamment en Saint-Aubin 1er Cru « Les Murgers des Dents de Chien » et en Chassagne-Montrachet 1er Cru « La Boudriotte ». Mais, on a surtout pas mal planté ou replanté du chardonnay, en lieu et place ou non de pinot noir.

Avec quels choix de cèpes ?

B. : Comme beaucoup, on a été victimes du porte-greffe 161.

J.-B. : C’était le plus qualitatif à l’époque, le plus polyvalent.

B. : Depuis 8 ans maintenant, on le remplace petit à petit, une partie en clonale, l’autre en massale, sélections ATVB ; tout en faisant tout notre possible pour préserver nos pieds de vigne presque centenaires. Ils ont été plantés par notre arrière-grand-père ! C’est l’histoire de notre famille.

J.-B. : On n’arrache pas un bout de patrimoine. Du coup, curieusement, nous voilà plus attachés à des vignes qu’on n’a pas plantées…

Et côté cave, à quoi vous êtes-vous principalement attelés ?

B. : À la séparation des cuvées ! Notre père, par exemple, assemblait encore ses Chassagne-Montrachet 1er Cru pour en faire un Village. Nous, on a voulu mettre en avant chaque terroir. Parallèlement, on a abandonné nos 6 à 7 petites caves, disséminées un peu partout, pour construire une grande cuverie. Les travaux ont commencé en 2003. Un chantier d’autant plus utile qu’un élevage long, sur 2 hivers, était déjà en place. Près de 7 années plus tard, on disposait d’un super outil de travail : une double cave, avec gestion séparée des températures.

J.-B. : Ça nous a permis de réduire plus aisément la durée des élevages en fûts.

B. : De 22 mois à l’époque de notre père, on est passés à 18. En soutirant plus tôt, c’est-à-dire en février/mars, au plus clair, on évite aux vins de travailler trop, de se refatiguer. Suit une mise au repos, en cuve, pour qu’ils se stabilisent, avant une légère filtration, uniquement sur les blancs, courant juin, et un embouteillage fin juillet.

J.-B. : C’est le résultat de plus de 10 ans d’essais ! On s’est rendu compte que cette phase de stabilisation après soutirage nous permettait de nous passer du collage. Les vins goûtaient mieux sans, naturellement.

Vous évoquiez la longueur de vos élevages : quel type de fût utilisez-vous ?

J.-B. : On a de plus en plus recours à des 456l. À terme, je pense qu’on aura quasiment que ça. C’est parti d’un constat : sur l’appellation Bienvenues-Bâtard-Montrachet, on fait 2 pièces ; soit, jusqu’alors, 2 fûts, issus de 2 tonneliers différents. Une année, on a opté pour un 456l. Les vins en sont ressortis moins marqués, plus purs. C’était un fût François Frères. Désormais, on ne travaille plus qu’avec eux. Comme notre père…

B. : En vin comme ailleurs, tout est un éternel recommencement : on a testé différentes tonnelleries, pour finalement revenir à 100% chez François Frères. Leurs grands formats, l’extrême qualité de leur bois, leur régularité, en particulier sur la finesse de grains attendue… nous conviennent parfaitement. On est en confiance. Et ce n’est pas rien, s’agissant de l’un des deux seuls éléments que l’on ne maîtrise pas : le tonneau – l’autre étant le bouchon -.

Dans tous les partis pris évoqués, les vins d’autres vignerons vous ont guidés ou nourrissent vos réflexions ?

B. : Force est de constater qu’on déguste assez peu nos vins. Sauf avec des clients. Du coup, en dehors de ces moments, on est plutôt curieux de goûter d’autres choses. Pour ma part, j’aime beaucoup les rieslings. Je garde des souvenirs émus d’un 2002 de Nikolaihof, élevé plus de 15 ans en cuve, ou d’un « Clos Sainte Hune » 2007.

J.-B. : Au-delà de la qualité des vins, c’est surtout le moment de partage qui compte. D’ailleurs, on cite très vite la ou les personnes avec qui on les a dégustés. S’ils avaient été bus seul, je ne suis pas sûr que nous en garderions la même perception. C’est le souvenir de l’occasion qui reste gravé.

B. : Néanmoins, ces vins partagent tous une certaine pureté, dans le respect bien sûr de leur terroir. C’est cette précision que nous recherchons à notre tour, y compris en Saint-Aubin. C’est elle qui, chez nous comme chez d’autres, a permis une plus grande reconnaissance de l’appellation.

Comment vivez-vous le fait de travailler entre frères ?

B. : C’est une chance. Dans le contexte actuel, on n’est pas trop de deux. Ça nous permet de pouvoir à peu près être sur tous les fronts, tout en restant à la vigne. C’est la base…

J.-B. : On n’est pas des chefs d’entreprise nous, mais des vignerons. Ce matin, on taillait ; cet après-midi, on y retourne.