Rencontre avec Fred Bernard, auteur et dessinateur

Bourguignon dans l’âme, il signe « Nos héritages » ou l’histoire de nos évolutions – dont la sienne – racontées à son fils. Une bande dessinée aussi tourbillonnante que touchante que cet habitué de l’Athenaeum viendra présenter sur place le 14 juin prochain. D’ici là, présentation…

En 30 ans, vous avez réalisé près de 80 bandes dessinées, livres jeunesse, essais…, dont deux sur le vin…

Oui, « Les raisins de l’extrême… entre Condrieu et Côte-Rôtie » en 2020, avec Yves Gangloff, Yves Cuilleron et Julien Pilon. Les pentes particulièrement abruptes de cette région viticole m’avaient frappé. Sur place, j’avais réalisé que, pour exactement la même superficie que l’amie Caroline Chenu, du domaine éponyme à Savigny-lès-Beaune, le vigneron mettait deux fois plus de temps pour tailler, vendanger… D’où le titre. Plus tôt, en 2013, j’avais publié « Chroniques de la vigne : conversations avec mon grand-père ». Un recueil de toutes les anecdotes qu’il racontait non-stop : ses souvenirs de jeune producteur de crémants pour Parigot & Richard, le domaine familial, l’occupation, le regard qu’il portait sur notre monde…

La transmission déjà… C’est LE sujet de « Nos héritages ». Comment est né ce projet ?

Je le dois à notre fils, Melvil. Il avait 8 ans lorsqu’il a commencé me poser des questions essentielles : « à quoi ça sert la vie, vu que tout le monde meurt à la fin ? », « qui a inventé les dieux ? », « c’est comment qu’on grandit ? »… Deux ans plus tard, je commençais à essayer d’y répondre, à ma façon. Je voulais le rassurer sur l’état du monde, lui expliquer que tout n’est pas foutu…

L’une des particularités de ce livre tient à son découpage : 10 chapitres où s’entrecroisent les grandes périodes de l’humanité et les différents stades de votre vie, au point de vous représenter affublé d’une peau de bête durant « votre » Préhistoire ou d’une toge pendant « votre » Antiquité. Pourquoi cette mise en parallèle ?

De manière assez évidente, ça apporte un peu d’humour. Au-delà, ces rapprochements font sens : quitter la Préhistoire pour entrer dans l’Antiquité, lorsque je suis en CP et que j’apprends à lire et à écrire ; se raccrocher au Moyen Âge, à l’époque où je travaille en maçonnerie avec mon grand-père, mon père et mon frère, sur des églises, des manoirs, des chapelles… Nous sommes tous dans la grande histoire avec nos petites histoires à nous.

La vôtre, d’histoire, est bien remplie. Bouillonnant, foisonnant, l’ouvrage fourmille d’anecdotes… Vous avez fait un tri ? Comment ?

Je ne pense pas avoir vécu plus de choses que tout un chacun. J’ai peut-être davantage de facilité à faire un effort de mémoire. Un atavisme familial : mes grands-pères, mon père… me racontaient tout, encore et encore. Je suis donc loin d’avoir tout mis dans ce livre. Bien sûr que j’ai fait un tri ! Une sélection drastique même ! Avec l’aide de mes deux éditeurs, nous n’avons retenu que « l’huile essentielle », en prenant soin d’avoir suffisamment de matières pour alterner tensions et pauses, actions et sentiments… Une fois ce travail fait, je me suis lancé dans une écriture plus approfondie, puis dans le dessin. Mais, tout cela ne s’est pas fait d’une traite. Loin de là. C’était trop dense. En parallèle, d’autres projets m’ont permis de prendre du recul, d’y voir plus clair. Le temps de déplier toutes ces histoires, qu’elles restent digestes, que chacun retrouve ses petits… Ça m’a pris 5 ans ! C’est le bouquin le plus compliqué que j’ai eu à réaliser.

Vous avez eu une forme de retenue ? Par rapport à des épisodes particulièrement intimes de votre vie ou à la nécessité de toucher un public plus large que votre seule tribu ?

Pas vraiment, non. Notre fils Melvil connait tout de moi. Ça fait tout de même plus de 15 ans que nous nous fréquentons… Pour les questions plus personnelles, j’ai demandé aux intéressé(e)s leur autorisation d’en parler. Et pour le reste, j’ai entièrement fait confiance à mes éditeurs. Ils m’ont dit d’y aller à fond et les premiers retours sont plutôt bons. Chaque lecteur peut se retrouver, je crois, dans tel ou tel moment du livre. Si nous n’avons pas tous la même vie, nous vivons tous dans le même monde. La plupart des enfants autour de nous se posent les mêmes questions essentielles que Melvil…

Comment a-t-il accueilli « Nos héritages » ?

Il attend la fin de l’école pour le lire en entier. Jusqu’à maintenant, il en a juste parcouru des bribes. Ça va sans doute réveiller des émotions, mais il n’aura pas de vraies surprises, à part la façon dont tout cela est raconté et organisé. Comme je vous le disais, lui et moi, on se connait bien.

Et vos projets ?

Avec Marie Desplechin au scénario, j’illustre un album sur la vie de Simone Veil et de ses sœurs. Elle a eu l’idée géniale de picorer dans tout ce qu’elles ont dit ou écrit. Pratiquement aucune phrase n’est inventée. Ce récit à trois voix sortira à la rentrée, aux éditions Les Arènes. Encore un livre sur la transmission. Encore une petite histoire dans la grande…