Rencontre avec Antonin Pillot, vigneron

Depuis 2019, le fils de Jean-Marc Pillot a rejoint le domaine éponyme. Près de 12 ha de vignobles, de Santenay à Puligny-Montrachet, à 70% plantés en chardonnay et à 30% en pinot noir, auxquels s’ajoute une petite activité de négoce. À la clef, un large éventail de Chassagne-Montrachet 1er cru de référence. Mais pas que… Visite.

Quelle vision portez-vous ?

Loin d’être figée, elle s’affine. Mais, les bases sont là. Celles acquises au gré de mes années de formation. À commencer par mon stage à l’Athenaeum en 2016 et en 2017, alors que j’étais en licence Commerce des Vins et Œnotourisme à l’Institut Jules Guyot. Là, à force de déguster, j’ai commencé à me forger un goût et, à travers lui, un avis sur les pratiques à mettre en place. Je pense en particulier au bio. Plus tard, chez Bouchard Père & Fils, j’ai pu mesurer toute l’importance du terroir. Malgré les process standardisés qu’impose la taille de ce domaine, ses Meursault Genevrières, par exemple, sont à tomber… Une autre expérience, en Tasmanie elle, m’a ouvert les yeux sur l’équilibre d’un vin. Ce n’est pas l’alcool qui apporte son amplitude, sa persistance. Il peut être vendangé tôt, titrer bas et avoir un vrai fond, à l’image des rieslings secs allemands. Tout ça, mis bout à bout, m’a permis de préciser ma vision. Sur les blancs, c’est désormais clair : j’aspire à proposer des vins plus racés, plus élégants, avec d’avantage de fraîcheur encore.

Et pour les rouges ?

C’est toujours en cours. Le sujet est plus sensible. Mon père y est très attaché. Et puis, force est de constater que j’ai du mal à trancher. Je m’en rends bien compte : en dégustation, je m’extasie devant la finesse de toute une série de pinots noirs, mais ne rechigne pas non plus à un « gros jus » de temps en temps. Dans les grandes lignes, disons que j’aimerais produire des vins plus délicats, plus friands, avec une plus grande buvabilité plus jeunes…

Comment cela se traduit-il en viticulture ?

Nous avons obtenu la certification bio en 2024. C’est là encore le fruit d’un long cheminement. Si mon père travaillait en raisonné, il continuait, par exemple, sur certaines vignes récalcitrantes, à recourir au désherbant. La peur de la casse… En 2018, on mettait fin à ces pratiques. Les vignes respiraient mieux et les sols s’enrichissaient davantage. Deux ans plus tard, on lançait nos premiers essais en bio, sur nos parcelles de Chassagne-Montrachet 1er Cru « Les Macherelles », avant de travailler tout le domaine de cette façon l’année suivante. Une démarche exigeante. Le bio impose de disposer d’une végétation bien régulière, étendue et aérée. Est-ce ce travail en amont, les traitements eux-mêmes ou les deux qui portent leurs fruits ? Je vous le dirai dans 30 ans ! D’ici là, on continue, mon père et moi, de s’interroger sur les pratiques à privilégier. Je pense notamment au palissage, très haut chez certains, plus bas chez d’autres. Je penche moi pour une solution intermédiaire, à l’avenir. Il y a aussi la question de la taille. Là, c’est plus concret : je vais bientôt lancer un essai cordon de royat vs guyot poussard sur une petite parcelle de 600 pieds de chardonnay à replanter…

Après la vigne, les vendanges : quand les lancez-vous ?

Dans ce domaine aussi, les choses évoluent. Je prête de moins en moins d’importance au degré d’alcool. Sur des millésimes de plus en plus chauds, il ne faut pas hésiter, je crois, à aller sur des maturités plus faibles que par le passé. Quitte à devoir chaptaliser de temps à autre lorsqu’on rentre des vins à 11,5° ou 11,6°. Il ne s’agit pas non plus d’être jusqu’au-boutiste! Non, à l’heure de vendanger, je suis davantage sensible à la maturité phénolique des raisins. Là, je regarde, je goûte et je complète mes observations par des analyses sur les degrés et acidités, pour, cette fois, définir l’ordre de passage dans les parcelles.

Et côté vinification ?

Pour apporter la fraîcheur et l’élégance visées, j’ai veillé à allonger les élevages, utiliser de plus gros contenants et recourir davantage aux lies. En ce qui concerne le souffre maintenant, nous sommes restés assez classiques dans notre approche, à trois nuances près. D’abord, j’ai commencé à produire mon propre souffre naturel, grâce à l’achat d’un brûleur en commun. Ensuite, le choix de fermentations par levures indigènes rallonge leurs durées. Elles sont plus longues, produisent davantage de gaz carbonique et, ce faisant, exigent moins de SO2 libre plus tard. Enfin, tout est mis en place pour garder du gaz : pas de bâtonnage, donc, et mise en bouteille par gravité. De sorte que, pour les blancs, on arrive au final à des 35-40 mg/l de SO2 libre sur les 1ers Crus et 30-35 mg/l sur les autres. Ça reste assez élevé certes, mais la peur de l’oxydation des vins est là…

Qu’en est-il de la filtration ? Vous collés les vins ?

Pas les rouges, non. Et, il n’y a pas de filtration sur les premiers crus. Du côté des blancs, c’est différent : ils sont tous collés, mais les « petites » cuvées ne sont pas filtrées. Voilà où on en est à date. Mais, là encore, ça bouge. De nombreux collègues vignerons, jusque-là anti-filtration, revoient leur position. Moi aussi, je me pose des questions, forcément. Sur les millésimes chauds par exemple, un léger collage est toujours intéressant. Ça aide à affiner, à capter des notes boisées, des protéines qui amènent parfois des lourdeurs… En fait, on ne doit plus systématiser les schémas. Il ne faut rien s’interdire ni chercher à toujours tout sécuriser.

D’autant que l’effet millésime joue…

Bien sûr ! Et pas toujours comme on le penserait. C’est le cas de 2024. L’année a été pour le moins compliquée. Pourtant, pour l’instant, les blancs, notamment, s’annoncent très bien. Comme si stresser la vigne avait des vertus. Et encore… Regardez 2023 : à l’inverse, tout s’est très bien passé. Trop peut-être. Du 11 au 15 janvier dernier, à Londres, à la Burgundy Week, je craignais du coup d’avoir quelques mauvaises surprises. Rien de tout cela ou presque. Ça a bien bossé à Chassagne-Montrachet ! Toute une nouvelle génération pousse ! Tant mieux, parce qu’on est attendu au tournant…

Comment ça ?

C’est ce qu’on entend dire çà et là. Les importateurs grinceraient des dents, compte tenu des prix élevés des vins bourguignons. On parlait même de Bourgogne bashing l’été dernier. La meilleure réponse à donner ? Continuer à essayer de produire des vins de très grande qualité !