Rencontre avec Benoist Simmat, journaliste, auteur et scénariste

Double actualité pour ce collaborateur régulier de Capital, autrefois au JDD ou encore à la Revue du Vin de France : avec l’illustrateur Daniel Casanave, il signe Histoire des Grands Vins ainsi qu’une nouvelle édition de L’Incroyable Histoire du Vin, dont les ventes depuis sa première publication en 2019 cumulent à plus de 130.000 exemplaires en France. Voilà qui méritait bien un coup de projecteur…

Comment passe-t-on de journaliste économique à scénariste de bandes dessinées ?

Les hasards de la vie, comme souvent. En septembre 2001, alors que je suis un jeune journaliste au JDD, spécialisé dans la bourse et l’industrie lourde, l’un des rédacteurs en chef me demande de m’occuper du vin, sous un angle économique bien sûr. Et voilà que je me retrouve, ni une ni deux, en plein vignoble du Sauternais, au coin du feu, la vue sur les vignes au soleil couchant, un verre de Sauternes de 1970 à la main, à écouter le vigneron qui en est l’auteur. Un instant suspendu. Un souvenir fort. Je réalise qu’à travers le vin, ce produit agricole à l’histoire plusieurs fois millénaire, il est avant tout question d’une quête de moments d’exception. Je m’y intéresse pleinement. Une dizaine d’années durant, je couvre ce sujet, en presse, hors dégustation toujours. Jusqu’à ce que je me mette à écrire des livres cette fois, sur la politique et l’économie. En 2010, interpellé par mon parcours, un éditeur dont j’avais dressé le portrait me fait remarquer qu’il n’existe pas de bande dessinée sur le vin en France : « vous devriez me proposer un scénario… ». Il s’agissait de Laurent Muller, à la tête à l’époque de la maison 12bis, aujourd’hui directeur éditorial aux Éditions Les Arènes BD. Quelques temps plus tard donc, sort ma première bande dessinée en tant que scénariste, Robert Parker : les sept péchés capiteux. Le point de départ d’une nouvelle vie professionnelle, partagée entre, d’un côté, la presse et, de l’autre, le livre avec la bande dessinée documentaire…

Justement, la bande dessinée documentaire fait désormais partie du paysage éditorial. Comment expliquez-vous qu’elle se soit imposée de la sorte ?

Tout d’abord, ce succès est récent. Il a vraiment commencé avec Le Monde Sans Fin de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain. C’était en 2021, il y a trois ans seulement… Pour le reste, la bande dessinée documentaire apporte une sorte de confort de lecture. Elle permet aux personnes à la fois curieuses et gourmandes, qui s’intéressent à des sujets pointus dans une perspective historique, de les appréhender plus facilement, sans pour autant abandonner complètement les essais dont les ventes, elles, sont en berne. Il ne faut pas l’oublier : la bande dessinée est un média, et donc une aide à la lecture.

Pourquoi le vin se prête-t-il à ce genre-là ?

Justement parce qu’il occupe une place très particulière et extrêmement importante dans l’histoire de l’humanité. Il accompagne l’homme et la plupart de ses civilisations depuis leurs origines les plus lointaines. Aucune autre boisson n’a connu un tel destin. Avant d’être synonyme de plaisir de dégustation, elle est avant tout un véritable véhicule culturel et social. L’Incroyable Histoire du Vin a, je pense, permis de lui redonner sa vraie place.

Comment construisez-vous votre discours face à une telle histoire, autant de faits, d’informations, d’évolutions… ?

Avant d’écrire, il s’agit effectivement de savoir trier. Dans ce domaine, j’applique un peu la même méthode « scientifique » que n’importe quel auteur d’essai : retenir les éléments les plus saillants, pour élaborer un récit, destiné à être porté à la connaissance du lecteur. Sauf que je suis davantage contraint : parce que le récit est mis en scène par le dessin, 80% des informations à ma disposition ne peuvent être retenues. Mon rôle est donc d’essayer de ne garder que le meilleur. Pour ce faire, je me concentre sur les spécialistes les plus reconnus et, plus précisément, leurs articles de recherches, ceux à partir desquels ils écrivent leurs propres livres. Sur 20 pages, vous disposez de toute la quintessence d’un ouvrage. C’est infaillible ! Je le recommande à tous les confrères. À partir de là, je peux choisir les époques ou, plutôt, les innovations et passer de l’une à l’autre. Car, c’est cela dont il s’agit : dans le cas du vin, ce sont les évolutions en matière de vinification, de marché commercial, de dégustation… qui rythment son histoire. Fort de cette substantifique moelle, je peux me lancer.

Et le dessinateur dans tout ça ?

Daniel Casanave apporte beaucoup. Il ajoute à ce socle d’écriture, le décor, le contexte. Il réalise un travail majeur de représentation historique, sur les paysages, les populations, les costumes…

Intéressons-nous plus en profondeur à chacune de vos deux dernières bandes dessinées, à commencer par L’Incroyable Histoire du Vin. Quelles sont les nouveautés de cette 5ème édition ?

La principale consiste en l’ajout d’un important chapitre, sur un vignoble cette fois, et non une thématique comme l’écologie, les rosés ou les bulles…. Nous avions envie de mettre en avant une région viticole remarquable. Après avoir beaucoup réfléchi, nous avons arrêté notre choix sur le Beaujolais. Pour trois raisons. D’abord, parce que ce vignoble, à l’heure d’aujourd’hui, est le résultat d’une opération marketing remarquable qui l’a fait connaître dans le monde entier, au point de partager désormais la vedette avec Bordeaux, la Bourgogne, la Champagne et Cognac. Ensuite, on le sait moins, mais il a une longue histoire derrière lui, à la conjonction de tous nos récits sur l’histoire du vin en Europe. Enfin, il se distingue par un aspect peu exploré jusque-là dans le livre : la géologie. Elle y est unique, pour la France et même le monde. Il y a là un véritable puzzle de terrains argilo-siliceux, grès calcaires marnes, granites, roches volcaniques, gneiss… Ce qui en fait, désormais, une terre de conquête pour tout un tas de jeunes vignerons en train d’y construire les grands vins de demain. Car, oui, aussi paradoxal que cela puisse paraître au regard d’une production souvent perçue comme facile, voire basique, c’est là que ça se passe aujourd’hui : pas de spéculation financière, un rapport entre l’homme et le vin plus direct, des vins moins maquillés…

Parallèlement, vous signez Histoire des Grands Vins. Pourquoi ce nouvel opus ? Que nous apprend-il d’autre ?

En tant qu’auteur, on a toujours envie d’explorer de nouveaux sujets… Après le succès de L’Incroyable Histoire du Vin, la question s’est donc posée de savoir ce que nous pourrions apporter de plus. L’idée des grands vins est venue spontanément. Et pour cause… Leur histoire, dans sa globalité, n’a jamais été écrite. La Romanée-Conti, Pétrus, Dom Pérignon…, tout le monde connait. Mais, très en amont, il y eut d’autres grands vins, bien plus nombreux, eux, et disparus depuis. Les breuvages d’exception ont toujours accompagné les pharaons, les princes, les conquérants, les capitaines d’industrie, les grands entrepreneurs et, avec eux, le marché du vin et ses expansions… Cette constance renforce l’idée selon laquelle le vin est plus que jamais ce véhicule culturel et social au destin exceptionnel.

De manière tout aussi constante, l’humour et les allers-retours entre passé et présent rythment vos bandes dessinées : c’est là votre façon de transmettre le savoir ?

Scénaristiquement, en bande dessinée, il y a toujours ce choix à faire : narrateur ou pas ? Il m’arrive de m’en passer. Cela fonctionne aussi très bien. Mais, sur des questions assez complexes, le narrateur présente l’avantage de prendre le lecteur par la main. Dans le cas précis de L’Incroyable Histoire du Vin et de son spin-off, se resituer en permanence dans le présent, autour du duo formé par un Bacchus en version hipster et une Garance candide, permet de faire des pauses pour mieux résumer le propos. À cela s’ajoute un levier classique de la bande dessinée : les gags. La dimension humoristique aide à relativiser, à faire passer plus facilement des considérations parfois ardues. Je n’ai rien inventé. Tous les scénaristes font comme ça, encore plus aujourd’hui, pour des bandes dessinées de 200, 300 voire 400 pages…

Fort de tous ces savoirs sur le vin, quel amateur en êtes-vous ?

Ayant commencé à m’intéresser au vin à Bordeaux, j’ai débuté par là. Puis, comme j’ai habité du côté de Poitiers, je me suis tourné vers la Loire. Jusqu’à ce que, plus récemment, à force d’être invité un peu partout, notamment en Bourgogne, et de me voir servir ses vins, j’ai succombé aux charmes de ses grands Pinots noirs. Un parcours Cabernet-Sauvignon, Cabernet-Franc, Pinot noir qui n’a rien de très original je pense. En revanche, je suis très curieux des vins étrangers. J’ai toujours adoré goûter ceux de Californie, en particulier de la Sonoma Valley, et d’Afrique du Sud. Leurs arômes exotiques changent des codes habituels. À mon sens, en matière de dégustation, il est important de varier les plaisirs, de sortir de sa zone de confort.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Deux choses : d’un côté, une édition augmentée de L’Incroyable Histoire de la Cuisine et, de l’autre, une toute nouvelle bande dessinée documentaire. Écrite en collaboration avec le professeur de protohistoire européenne Jean-Paul Demoule, L’Incroyable Histoire de la Préhistoire sortira à la rentrée prochaine…