Rencontre avec Marion Brunet, auteure

Pour Nos armes, son dernier roman, elle suit le parcours d’une bande de jeunes militants révoltés, en particulier deux d’entre eux, Axelle et Mano. Dans l’exaltation de la lutte, ils décident de franchir un cap : braquer un crédit municipal. L’action tourne mal. L’une écope de 25 ans de prison, l’autre s’en sort. Un récit noir, nerveux, touchant, sur l’engagement, la culpabilité, l’amour…

La rage qui anime ce groupe de militants frappe. En particulier, l’origine selon eux de cette violence : la société dans laquelle ils vivent, celle des années 90… Pourquoi avoir choisi d’inscrire votre récit dans cette époque ?

Je voulais écrire une pure fiction, sans que l’on puisse corréler cette histoire à des évènements majeurs précis. Mon choix s’est porté sur une période relativement peu marquée par des manifestations fortes de la lutte, avant les grèves de 1995 donc et leur regain de militantisme. Au-delà de ça, les années 90 représentent ma génération, ce qui m’a permis d’avoir en tête et au cœur tout ce qui comptait à l’époque.

Vous le dites : Nos armes est une fiction. Pour autant, vous prenez soin à travers le parcours de ses différents protagonistes de rappeler les éléments fondateurs de la lutte : mai 68, le 17 octobre 1961, l’arrivée de Salvador Allende au pouvoir au Chili, la chute du mur de Berlin…

Ces faits m’ont marquée. Ils ont rythmé mon chemin de réflexion idéologique. Et pour cause… Il était important, à mes yeux, de rappeler que chaque mouvement militant s’inscrit dans une longue histoire. Bien sûr, à l’instant présent, la rage, la colère… s’expriment çà et là, mais ce n’est pas anodin : elles sont le fruit d’années de lutte, en France et pas seulement. Tous les groupes militants d’extrême gauche entretiennent ce rapport à cette histoire-là. Elle les fait rêver. Axelle, Mano et les leurs sont portés par ces grandes actions menées à travers le monde et par leurs leaders passés.

Une autre violence, plus cachée, moins manifeste, se fait également jour dans ce livre : celle de la culpabilité qui hante Mano. En quoi ce thème vous importait-il ?

Certains d’entre nous ont lutté. Pas tous. Parmi celles et ceux qui se sont mobilisés plus jeunes, qui se sont sentis concernés par le collectif, qui ont exprimé leurs envies de changement, il en est qui se sont repliés sur leur vie et leurs propres bonheurs. Le sentiment d’abandonner le combat peut créer une forme de culpabilité. Alors qu’il existe d’autres façons de lutter. Écrire des livres comme je le fais en est une. Pour autant, en amont, je ne me dis jamais que je dois explorer tel ou tel thème. Mes obsessions me guident, naturellement. Ici comme à chaque fois, la thématique de la culpabilité s’est imposée à moi.

Qu’on ne se méprenne pas : si ce roman est très noir dans son ensemble, des éclats l’éclairent. À commencer par l’amour qui unit Axelle et Mano. Ce n’était pas évident pour deux femmes, dans les années 90, de s’aimer ?

Non. Mais, le fait est qu’elles n’ont même pas le temps de réfléchir à cette question. Leur histoire débute à peine lorsque la prison les sépare. Qu’importe, l’amour tient Axelle et Mano. C’est très important pour moi. Dans un monde de plus en plus capitaliste, secoué par des drames guerriers, ce sentiment continue de nous porter. Il vient contrer le cynisme ambiant…

Le récit des dix années que Mano passe en Inde offre à son tour une parenthèse. Ce départ pourtant interroge. À commencer par Axelle… Pourquoi ce choix de l’Inde ?

Justement, parce que ce pays n’a rien à voir avec leur lutte. Mano ne s’attend d’ailleurs pas du tout à tomber sous le charme. Sa venue dans cette partie du monde est un pur hasard. Elle se retrouve là pour suivre son compagnon dans un défi sportif qui ne l’intéresse absolument pas… Et pourtant, elle est cueillie. Ce pays la surprend comme il m’a surprise, moi. La culture y est tellement différente de la nôtre et sa beauté renversante. En Inde, Mano accède à une bulle, à un autre univers, qui lui permet de s’apaiser enfin.

Autre lumière dans ce roman noir : le grand-père d’Axelle. Un phare pour elle, dans une famille difficile…

Oui, bien que ce soit lui qui apprend à Axelle à se servir d’un fusil, il représente l’unique personne de sa famille avec laquelle elle entretient des liens forts.

Malheureusement, ce grand-père – c’est la vie – décède, Mano met fin à sa parenthèse indienne et la prison la sépare d’Axelle dès le début de leur histoire d’amour : ce livre est plein de désillusions. Quel regard portez-vous sur la lutte aujourd’hui ?

Dans mes livres, j’essaie de ne pas donner de réponses, mais plutôt de partager mes interrogations, mes doutes… C’est pour cela, je pense, que j’écris. Reste que je crois beaucoup en la jeunesse actuelle. Elle trouve ses propres armes pour lutter contre le monde qu’on lui laisse, notamment sur la question du climat ou encore – et cela m’enchante profondément – sur celle du féminisme. Sur ce point, la vague qui déferle depuis quelques temps se révèle bien plus puissante et globale que les actions menées dans les années 90 ou 70. Il se passe vraiment quelque chose de fort du côté des jeunes filles d’aujourd’hui. On ne pourra plus revenir arrière. C’est complètement réjouissant. Une preuve manifeste que la lutte fait sens.