Rencontre avec Gala Colette et Victor Coutard, artiste et auteur

En compagnie du photographe Paul Lehr et du journaliste Matthieu Le Goff, ils viennent de co-signer Vinocolor. Un nuancier des couleurs du vin aussi plaisant qu’instructif. Interview croisée.

Comment vous est venue l’idée d’aborder le vin par le prisme de ses couleurs ?

G. C. : Tout est parti d’un livre de notre fille, Colorama. Un imagier des nuances de couleurs pour enfant paru chez Gallimard. J’ai eu un flash sur le périphérique, dans les bouchons évidemment, avec Victor…

V. C. : Je m’en souviens parfaitement. C’était entre porte d’Aubervilliers et porte de la Chapelle…

G. C. : En tant qu’artiste, la couleur m’intéresse depuis de nombreuses années. Je ne connais pas grand-chose aux vins en revanche. Ce sont donc davantage leurs tonalités qui me parlent. Du coup, j’ai proposé à Victor de réaliser un guide des vins par couleur, conçu comme un nuancier Pantone. Une approche jamais vue, je crois.

V. C. : Moi, de mon côté, ce qui m’a donné envie de faire ce livre, c’est une sorte d’épiphanie, Une prise de conscience assez récente que les vins naturels avaient fait tomber l’idée de boire des étiquettes. Adepte de ces anti-Parker, je cultivais une approche du vin plus sensorielle, plus romantique : j’avais des envies de couleur plutôt que de cuvée ou de millésime précis. Ici, une macération bien orangée ; là, un rouge très clair ; une autre fois, un rosé bien saigné… Ce parti-pris, il m’est apparu utile de le défendre, en soulignant à travers ce livre la beauté des couleurs des vins, comme des appels à les boire.

Qu’est-ce que la couleur dit du vin ?

V. C. : Beaucoup de choses. Les sommeliers sont unanimes sur ce point. Il suffit de les regarder faire. Rien qu’à l’œil, les meilleurs d’entre eux récoltent de nombreuses informations sur le vin en dégustation. Ses nuances, son intensité, sa turbidité, sa densité… renseignent sur son cépage, son terroir, l’exposition de ce dernier et ses méthodes de vinification. Très sensorielle, cette approche se révèle tout aussi didactique.

Comment avez-vous sélectionné les 120 cuvées photographiées ?

V. C. : Puisque la couleur du vin est l’expression du cépage et du terroir, Matthieu et moi avions à cœur de les représenter de la meilleure façon qui soit. Nous avons donc veillé à ce que les principaux cépages plantés en France figurent dans notre sélection et ce, dans chaque région viticole concernée. Le chardonnay du Jura n’ayant, par exemple, pas du tout le même profil colorimétrique que celui de Bourgogne. Ceci fait, nous voulions également couvrir un maximum de méthodes de vinification : presse directe, longue macération, vins sous voile… Autant de pratiques de vignerons engagés, sources de couleurs très chatoyantes.

G. C. : En ce qui me concerne, d’un point de vue purement visuel donc, je voulais que le dégradé soit le plus homogène possible. J’étais en quête de blancs très clairs, de rouges très foncés et d’un maximum d’entre-deux. Lorsque je constatais qu’il y avait des « trous », je commandais à Victor et à Matthieu les tonalités manquantes.

Ce ne sont que des vins naturels ?

V. C. : Non. En cours de route, nous avons revu notre copie. Au départ, nous avions adopté une approche assez extrémiste : ne sélectionner que des vins dits « 00 », soit 0 intrant à la vigne et 0 intrant au chai. Jusqu’à ce que nous nous rendions compte que cela nous fermait des portes. Comme celles de Maï Roblin-Bazin, auteure d’une première cuvée en Juliénas, « Les Soubletons », pour laquelle elle nous confiait ne pas pouvoir risquer de tout perdre et donc ajouter du souffre à la mise en bouteille, ou encore celles du Château de la Tour, en Clos-Vougeot. Quand vous pensez vin naturel, ce n’est pas le premier nom de domaine qui vous vient à l’esprit. Et pourtant, la famille Labet vinifie sans souffre depuis un bail ! Au final s’est imposée à nous la volonté de sélectionner avant tout des vignerons soucieux de réaliser le meilleur vin possible dans le respect des raisins sélectionnés.

Vous dîtes « nous »… Vous êtes quatre à co-signer Vinocolor : qui a fait quoi ?

V. C. : Deux équipes se sont assez naturellement constituées : l’une sur les couleurs et l’objet lui-même, réunissant Gala, à la direction artistique, et Paul Lehr, à la photographie ; l’autre sur les vins et les textes, avec Matthieu Le Goff et moi.

G. C. : Un duo plus porté sur la bouteille celui-là…

Vous n’étiez pas trop de deux pour gérer l’image : créer un dispositif réplicable à l’envi qui vous permette de restituer le plus fidèlement possible toutes les nuances des couleurs du vin a dû être un vrai casse-tête ?

V. C. : L’enfer…

G. C. : Oui, un véritable parcours du combattant. Ce livre représente plus d’un an et demi de travail, dont plusieurs mois uniquement pour imaginer le bon dispositif. On a fait des essais de photo avec un verre à eau, un bocal, un saladier…, pour retenir finalement un verre à vin de dégustation, assez haut, de 42 cl. Reste que, quand les prises de vue fonctionnaient sur les blancs, cela ne marchait pas du tout avec les rouges. Inversement, lorsque nous pensions avoir trouvé une solution pour ces derniers, les blancs étaient totalement surexposés. Sans parler des problèmes de reflets… Bref, j’ai fini par construire, à l’aide de carton plume, une boîte avec une ouverture dans le fond, de la taille d’une carte de visite, laissant passer une lumière indirecte par réflexion sur une surface blanche. Une chambre noire portative que nous utilisions vêtus de noir, sous un grand drap tout aussi noir, dans un appartement aux lumières éteintes et volets fermés, histoire d’éviter le moindre reflet…

V. C. : De sorte que, une fois par semaine, pour notre cession hebdomadaire de dix photographies, il y avait vraiment deux moments, deux ambiances. D’un côté, une journée de prises de vue très studieuse et appliquée. De l’autre, une soirée de fête, entourés de nos amis venus déguster les vins ouverts. Pour sûr, nous avons fait honneur aux bouteilles envoyées gracieusement par tous les vignerons cités dans le livre. En somme, un projet extrêmement joyeux !

Justement, avec le recul, que retenez-vous de ce livre ? Vous a t-il permis de confirmer le bien-fondé d’une approche du vin basée sur ses tonalités ?

V. C. : À l’évidence, la palette des couleurs du vin est infinie. Nous avons hâte que Vinocolor rencontre un certain succès pour, demain, en proposer une version augmentée. Au-delà de notre cas, je continue de penser que la couleur offre une très bonne porte d’accès aux vins. Mieux, alors que plus j’en apprends sur eux, plus j’ai l’impression de ne pas savoir grand-chose, leurs nuances, dans cette quête de connaissance, s’affirment comme un indicateur à la fois fiable et surprenant. En témoigne ce reportage effectué il y a quelques temps, en Allemagne, pour le magazine Regain dont je suis le rédacteur en chef. Nous rendions visite à un vigneron installé sur les bords du Rhin, dans une région très industrielle, sans charme aucun. Ajoutez à cela que le bonhomme est, en parallèle, croquemort et rien ne laissait présager ce qui arriva. En l’occurrence, des vins d’une luminosité incroyable. Du jamais vu. C’était hallucinant. Une preuve parmi d’autres qu’un travail attentif, dans le respect de la nature, comme c’était le cas ici, séduit assurément, au premier regard.

Vinocolor : Nuancier des couleurs du vin