Rencontre avec Patrick Roger, chocolatier

Le Meilleur Ouvrier de France qu’il est, à la tête de 9 boutiques à Paris et alentours, n’a rien oublié de ses racines. Lui, le fils de boulanger et petit-fils d’agriculteur, reste très attaché au monde paysan. Au point de posséder ses propres champs d’amandiers et, l’an dernier encore, ses vignes. Parfait pour aborder la question du chocolat et du vin…

Vous ne faites plus de vin ?

Non, on vient d’arrêter… Au début des années 2010, j’ai acheté une quarantaine d’hectares d’amandiers, entre Aude et Pyrénées-Orientales, dont 2,58 hectares de vignes que j’ai souhaité garder. J’ai raisonné l’ensemble et, en 2016, je réalisais une première récolte fantastique, avant de la passer en amphore directement. Je m’étais associé pour l’occasion à une vigneronne des environs, Aliette Bourg, archéologue de formation, à la tête de 9 hectares en bio dans la vallée de l’Agly. Malheureusement, le Covid est passé par là. Récolter, mettre en bouteille… : tout a tourné au casse-tête. On a vendu l’été dernier, sur pied, sans vinifier.

Le réchauffement climatique n’a pas dû aider non plus…

Dans la région, il n’a plu que 40 mm cet hiver. Autour de Perpignan, les vignes meurent, purement et simplement. On en est là… C’est dire si la situation est grave. Ces dérèglements ont une incidence immédiate sur notre activité et encore plus sur celle des paysans. Qui les aident, eux ?

Que retenez-vous de cette expérience ? Rapprocheriez-vous le chocolat du vin ?

À l’évidence, oui. Pour l’un comme pour l’autre, il est question de terroir. Pour l’un comme pour l’autre, la fermentation joue. Pour l’un comme pour l’autre, le chocolatier ou le vigneron imprime sa façon de penser, de voir les choses. En ce qui me concerne, j’ai conduit mon domaine viticole comme je gère ma chocolaterie. À l’instinct, sans me préoccuper des tendances, dans le respect de ce que la nature offre à l’instant t et conformément à mes goûts. Pour ce faire, tout le travail effectué auprès de Valrhona avec Marie Repoux, responsable données sensorielles, m’a été très utile. Il m’a permis de mettre des mots sur mes ressentis et de me conforter dans la logique de mon approche, en faisant ressortir, par exemple, mon aversion pour les arômes trop minéraux, trop pierre de silex, pour les notes giboyeuses ou encore pour l’amertume. Autant de consignes que j’ai pu partager par la suite, aussi bien dans l’élaboration de mes chocolats de couverture que dans celle de mes vins.

Et que diriez-vous des accords vin-chocolat ?

La puissance du chocolat emporte tout sur son passage. C’est un produit tellement couvrant et long en bouche ! « L’équilibrer » reste très complexe. Encore plus en fin de repas, où chacun de nous est saturé, en gras, en sucre, en tout… Du coup, au dessert, les alcools opulents, riches, peuvent çà et là offrir des mariages intéressants. Je me souviens notamment d’un accord truffe au chocolat-melanosporum-whisky… Un truc de dingue ! Une alternative de choix consiste à servir les chocolats en entrée. Ça change la donne. J’en ai eu la confirmation avec Jérôme Banctel qui vient de décrocher la 3ème étoile Michelin pour La Réserve à Paris. Un cuisinier phare pour moi. Chef exécutif d’Alain Senderens chez Lucas Carton à l’époque, il avait servi, en début de repas, ma demi-sphère Amazone au cœur de caramel citron vert sur un bouillon aux algues kombu et cèpes avec un champagne Leclerc Briant. Un de mes plus beaux accords mets-vins. C’était au-delà des mots. Il y avait juste l’appétence à manger et à boire. L’alcool venait en quelque sorte délayer le chocolat. La syrah peut aussi avoir cette capacité à « fluidifier » la dégustation. En témoignent les quelques bouteilles que j’ai produites, aux notes à la fois fruitées et amples, mais sans lourdeur. Et pour cause, ce vin a été pensé comme mes chocolats.