Depuis 2014, elle s’est fait un prénom au sein des Éditions Jean Lenoir. Celles créées par son père, autour du fameux livre-objet permettant d’appréhender les vins par l’odorat et mieux analyser ainsi leur dégustation. Retour sur cette formidable saga…
Comment Jean Lenoir est-il passé de directeur adjoint de la Maison de la Culture de Chalon-sur-Saône aux vins ?
Par le biais de l’art. La fin des années 1970 marque le début des mouvements alternatifs culturels. Tout peut être art : bien sûr, la peinture, la sculpture, la photographie…, mais aussi les happenings et pourquoi pas la gastronomie. Avec divers artistes comme Daniel Spoerri et Henri Cueco, mon père crée le festival Eat Art. La Bourgogne, terre d’arômes et de saveurs, s’y prête. Et voilà comment il initie des cycles de dégustation de vins au sein de la Maison de la Culture. Soucieux de se perfectionner, mon père part à Beaune suivre les cours de Max Léglise. L’œnologue et chercheur, qui deviendra l’un des pères fondateurs de l’analyse sensorielle, tient un discours qui lui parle : le vin est médium ouvert à tous. Tout le monde est capable de l’apprécier, à condition de se débarrasser d’un vocabulaire abscons et de s’intéresser… aux odeurs.
Daniel Spoerri, Henri Cueco, Max Léglise… : c’est donc aussi une affaire de rencontres ?
Bien sûr ! D’autres suivent, tout aussi décisives d’ailleurs. À commencer par celle avec Olivier Baussan. Immédiatement, mon père et lui s’entendent parfaitement. Le créateur de L’Occitane lui ouvre les portes de ses fournisseurs à Grasse. Sa première mallette de 120 flacons d’huiles essentielles est prête. Ma mère, artiste entre autres, y ajoute des aquarelles qui illustrent les arômes en question. Fort de ce nouvel outil de communication, mon père poursuit ses conférences, avec succès. Au point de faire un audit auprès des participants : seriez-vous disposé à acquérir un support comme celui que j’utilise ? 1.000 promesses d’achat lui sont adressées. En 1981, Le Nez de Vin, livre-objet encyclopédique aux 54 arômes, est lancé, suivi peu après de la création des Éditions Jean Lenoir.
Dès le début, tout est déjà fabriqué en France ?
Oui, à l’exception des flacons réalisés en Italie. Rien n’a changé depuis. Le Nez du Vin réunit des artisans, locaux pour la plupart. Des hommes et des femmes passionnés, connaisseurs. C’était un point essentiel pour mon père.
Et vous, comment êtes-vous arrivée dans cette aventure ?
Comédienne et journaliste radio, je ne me dirige absolument pas vers cet univers-là. Jusqu’à ce que mon père tombe gravement malade. En 2013, en fin de droits d’intermittence, je décide de prendre soin de lui. Nous nous rapprochons et il me propose de rejoindre les Éditions Jean Lenoir. Plutôt réfractaire à cette solution de facilité, à ce népotisme, j’accepte finalement un CDD de 6 mois en tant que commerciale, persuadée que je ne ferai pas long feu. Je n’anticipe pas à l’époque ma parfaite connaissance du Nez du Vin, créé par mes parents et dont j’ai été la première beta testeuse, ni l’utilité de mon bagage de comédienne. Reste néanmoins comme un sentiment d’imposture, d’illégitimité. J’étudie donc à fond, tout en poursuivant mes activités auprès des Éditions Jean Lenoir. J’obtiens le WSET 2, puis 3, le diplôme de l’Institute of Brewing & Distilling de Londres, je deviens professeure d’analyse sensorielle en café, je suis des cours du soir en chimie via le CNAM pour parfaire mes connaissances sur les arômes…, avant d’être finalement nommée directrice du Pôle Arôme et responsable communication des Éditions Jean Lenoir.
En quoi cela consiste-t-il ?
Je suis un peu sur tous les fronts. Dans les grandes lignes, il s’agit de veiller à la qualité des arômes, et donc de travailler avec les aromaticiens sur les formulations : « cette vanille-là est trop chimique », « celle-ci est trop expressive »… De manière à arriver à faire le lien, avec la plus grande précision possible, entre la dégustation des vins et l’arôme pur. Et puis, au quotidien, je veille à tenir un discours accessible à tous, aussi bien en interne qu’en externe. C’était un des chevaux de bataille de mon père. Ne pas prendre les gens de haut sous prétexte d’être considérée comme un sachant, tout en transmettant les informations techniques utiles. « Cette note de poivron vert vient des 2-isobutyl-méthoxypyrazin. Un nom barbare aux nombreuses formules certes… On la ressent souvent sur des cabernet-sauvignon cueillis avant maturité, parce que… » Bref, rendre les données parlantes, y compris les plus complexes ou rébarbatives.
Sur quels nouveaux projets travaillez-vous en ce moment ?
Depuis longtemps, nous travaillons sur une version plus extensive du Nez du Café. Il ne compte actuellement « que » 36 arômes, alors qu’il est devenu un outil incontournable en Asie et aux États-Unis, au point d’être requis aux épreuves du Q Grader, le diplôme référent en matière d’évaluation de la qualité des cafés de spécialité. Face à l’explosion de ce marché, le Coffee Quality Institute qui le délivre nous demande d’enrichir notre livre-objet. À cela s’ajoute la réalisation d’un tout nouveau coffret cette fois, L’École du Nez, sur la rééducation du système olfactif. Notre premier pas de côté en dehors de la dégustation. Il s’agit de proposer tout un protocole sur l’olfaction pure : comment faire pour mettre un mot sur un arôme que l’on a pourtant identifié.
Et les vins de Bourgogne dans tout cela ?
Si mon père adorait les Morey-Saint-Denis, moi, je pourrai vendre un rein pour du Puligny-Montrachet. Rien ne me touche plus que les notes fumées des vins blancs de Bourgogne. C’est fou. Chaque fois, je n’en reviens pas de la richesse de leurs arômes…