Rencontre avec Laurent Gotti, auteur de Les Grands crus de Bourgogne

Féru de cartes, ce journaliste et dégustateur « croque » la Bourgogne depuis deux décennies, notamment à travers ses publications dans la Collection Pierre Poupon. La preuve avec son dernier ouvrage. Plus qu’un atlas parcellaire, un coup de projecteur sur celles et ceux qui « font » les climats les plus en vue du vignoble bourguignon. Explications.

Comment vous est venue l’idée d’écrire ce nouveau livre ?

En 2015, en pleine dynamique de l’inscription des climats de Bourgogne au Patrimoine mondial de l’Unesco, j’étais sollicité pour réaliser la carte des exploitants des Meursault-Perrières Premiers crus, avant que l’Athenaeum m’en commande d’autres, à son tour. Au point de susciter l’envie de cartographier les 33 Grands crus bourguignons. Enfin presque : m’attaquer à la colline de Corton, avec ses 150 hectares et ses centaines de parcelles, me refroidissait quelque peu. Jusqu’à ce que le confinement me donne l’occasion de m’y mettre. Ce défi relevé, je pouvais dérouler…

Cet ouvrage part aussi d’un constat : les conditions naturelles, les sols, les sous-sols… ne suffisent pas à définir un climat. L’humain importe tout autant…

Effectivement. Explorer le rapport entre les vignerons et « leur » terroir, la façon dont chacun d’eux l’interprète, me semble être une clef de compréhension essentielle à cette notion de climat. De ce point de vue, le parallèle avec une partition est particulièrement éloquente : ses notes et portées n’offrent qu’un potentiel de musique, que des musiciens viennent révéler à leur façon. Il en va exactement de même pour un terroir. Si les vignerons ne l’interprètent pas, il perd tout son sens. Ce lien, les cartes que j’ai établies permettent, je pense, de l’illustrer clairement.

Pourquoi avoir choisi les Grands crus ? Ils se prêtent particulièrement bien à cet exercice ?

À l’évidence, oui. Les Grands crus représentent la quintessence de la notion de climat. Le premier d’entre eux, apparu dès la fin du XVIIe siècle, à la faveur du juriste et exploitant Claude Jomard, n’était autre que Chambertin. Une antériorité historique explique donc mon choix. Loin de tout snobisme. Je n’ai pas vraiment cette approche du vin. Et puis, force est de reconnaître qu’il est plus pratique de cartographier ce type de zones assez restreintes plutôt qu’un Premier cru, voire une appellation tout entière. Un seul livre n’y suffirait pas !

La tache reste tout de même ardue ! Ce niveau de précisions, c’est du jamais vu…

Cela n’existait pas, non. Dans les années 1980, Jean-François Bazin avait établi des cartes de vignobles bourguignons recensant les propriétaires des vignes, mais c’est une autre démarche. Identifier les exploitants ne se fait pas aux cadastres. Je me suis appuyé sur les contacts engrangés depuis plus de 20 ans de métier ainsi que sur les Organismes de défense et de gestion (ODG) pour, Grand cru par Grand cru, interroger les vignerons, savoir qui étaient leurs voisins et leur faire valider chacun la carte réalisée. Au fond, c’est un peu comme un puzzle : il s’agit de trouver les morceaux qui s’assemblent. On se prend vite au jeu. Sans parler du plaisir d’échanger avec ces hommes et femmes passionnés, sensibles.

Car, à cette cartographie humaine s’ajoutent des témoignages d’exploitants, d’œnologues, de géologues…, chacun livrant sa vision du climat concerné et, surprise, se rejoignant en bien des points. Est-ce à dire que la sélection et la délimitation des Grand crus sont particulièrement justes ?

Si, sur un climat donné, les nuances existent d’un exploitant à l’autre, il est vrai aussi qu’un certain consensus se dégage à l’heure de le décrire. De fait, la sélection et la délimitation des Grands crus sont très peu remises en cause. Le fruit de siècles d’observations par la communauté vigneronne.

Quels sont pour vous les Grands crus dans lesquels la personnalité des vignerons s’exprime le plus clairement ?

Bonne question. Où placer la limite entre la part de l’homme et celle du terroir proprement dit ? Tous les Grands Crus monopoles, je trouve, portent tout particulièrement l’empreinte de leurs exploitants. Pour La Romanée, Louis-Michel Liger-Belair, septième génération à la tête du domaine, me confiait ainsi que, lors de verticales de dégustation de ses Grands crus, on identifiait les moments où sa famille se portait bien et, à l’inverse, ceux où elle était moins présente, moins investie…

Et vous, que retenez-vous du travail accompli ?

En dehors du plaisir pris à écouter ces vignerons et à entrer davantage encore dans la complexité de « leur » terroir, je me retrouve rassuré. Le foncier viticole bourguignon éveille bien des convoitises, des investisseurs acquièrent çà et là des vignobles de Grand cru. Pour autant, il m’a semblé que les vignerons, œnologues et techniciens en place restaient très concernés par leur climat. Ils en ont une grande connaissance, profonde, sincère, sensible…, qu’ils prennent le temps, en plus, de transmettre. Tant que ce lien étroit à leur terroir et à la transmission perdurera, la Bourgogne conservera son aura exceptionnelle.