Rencontre avec Pierre-Olivier Garcia, vigneron

Après avoir créé le domaine Moron-Garcia à Nuits-Saint-Georges en 2016, ce Nuiton en reprend seul les rênes pour mettre en place un modèle de viticulture et de vinification aussi ambitieux qu’exigeant. Succès immédiat. La preuve que, dans cette appellation, il est possible de faire très bien, autrement. Explications.

Vous avez très tôt eu un pied dans le vin ?

Originaire de Nuits-Saint-Georges, j’ai toujours été entouré de fils et de filles de viticulteurs. D’autant que ma mère, professeur de français, les avaient en cours au collège. J’ai donc très vite fait quelques vendanges. Sans manifester plus d’intérêt que ça. Les pratiques plutôt conservatrices de l’appellation ne me parlaient sans doute pas. Jusqu’à ce que, de fil en aiguille, on me confie quelques responsabilités en cuverie. Je me piquais au jeu. Au point de reprendre des études, en vin, à Beaune. Pendant ce temps, mon père, géologue-sédimentologue, fondateur du laboratoire Artehis, était mandaté pour écrire la charte scientifique relative à l’inscription des Climats de Bourgogne au Patrimoine mondial de l’humanité, devenant ainsi, petit à petit, « le » ponte scientifique du terroir dans la région. Ajoutez à cela l’opportunité de m’associer à un ami d’enfance, Mathieu Moron, pour reprendre quelques parcelles nuitonnes de sa famille et, en 2016, le domaine Moron-Garcia naissait…

Avec quelles envies ?

Faire revivre nos parcelles dans une appellation aux pratiques pour le moins conventionnelles, amener plus de biodiversité et, qui sait, influer sur les procédés de nos voisins. Côté vinification, j’ai mis en place et peaufiné la technique du baie par baie expérimentée durant mes études. Dès la coupe, les grappes sont réfrigérées pour redescendre à 5°C et être manipulées sans se déliter. Ensuite, à l’aide de longs ciseaux, elles sont détaillées à la main, baie par baie, sans libération de jus. De l’orfèvrerie. Aucune machine ne peut faire cela.

Quel est l’intérêt du baie par baie ?

En cuve, avec 1/3 de vendanges entières et 1/3 de raisins égrappés, le 1/3 restant de baie par baie est précurseur d’arômes. Cette infusion développe notamment des notes florales. Les vins s’assouplissent, affichent une structure moins tannique. Reste que cela réclame une organisation folle. À commencer par deux camions frigorifiques, voire trois, en période de vendange. C’est notre seule entorse puisque nous veillons à économiser l’eau et que nos cuves ne sont pas thermorégulées. Ensuite, le baie par baie exige beaucoup de temps et de main d’œuvre. Là où, sur une table de tri classique, une dizaine d’intervenants traitent 350 kg de raisins, soit un fût de 228 l, en un quart d’heure ; nous, nous sommes trente durant une journée entière. Lors des vendanges de 2023, plus 90 personnes nous ont prêté main forte durant presque un mois. Une aide précieuse à condition qu’elle soit formée et qu’elle mesure l’importance du travail à fournir pour ensuite l’effectuer avec le plus grand soin.

Et le souffre dans tout ça ?

La grande question du moment… C’est l’autre intérêt du baie par baie. Il y a un tel tri en amont que, depuis le premier millésime, je n’ai jamais eu besoin d’utiliser de souffre en fermentation alcoolique. Après, en « malo », j’y ai recours bien sûr, mais à des doses très raisonnables. J’exporte mes vins… Je ne suis pas anti-souffre, mais je n’aime pas les systématismes. Surtout quand leur utilité n’est pas prouvée scientifiquement.

Côté viticulture maintenant, comment travaillez-vous ?

Aujourd’hui encore, une grosse partie de notre production est issue du négoce. Des raisins bio uniquement. Le foncier atteint de tels sommets en Bourgogne… Je dispose donc de 2 hectares environ, répartis en petites parcelles. Ici comme en cuve, le baie par baie donne le la. Je m’explique. Avec le réchauffement climatique, comme d’autres vignerons, nous avons réhaussé les vignes à 1,80 m, voire 2 m, de façon à créer une ombre portée plus conséquente. Si ce procédé nous protège davantage de la sécheresse, il génère des grappes plus allongées, et donc plus faciles à trier. En revanche, la surface foliaire s’en trouve agrandie et les besoins de la plante en eau augmentent. Pour y pallier, je milite pour une pratique encore assez peu répandue en Bourgogne : les semis de légumineuses. Entre les rangs, les plantations de pois, panais, trèfles, féverolles, radis chinois et autres racines pivotantes décompactent les sols et amènent, de surcroît, plus de vie et de biodiversité.

Aujourd’hui, quel bilan ?

Notre 9e millésime est en vinification. Chaque terroir est isolé. De fait, compte tenu de la myriade de petites parcelles dont nous disposons, une vingtaine de références sont produites : 18 rouges et 4 blancs. Que des aligotés. Plus acides intrinsèquement, ils réagissent mieux au réchauffement. À l’inverse, j’ai du mal à retrouver le goût des chardonnays de mon enfance. Au total, en 2023, cela représente 20.000 bouteilles. Le maximum de nos capacités au regard de nos infrastructures et de nos pratiques. Malheureusement, ça ne suffit pas pour répondre à la demande. Résultat ? Les prix s’envolent dans les 33 pays où nous sommes présents… Même si chaque bouteille est tracée, il est difficile de lutter contre cette spéculation. Ce serait un travail à plein temps. La conduite du domaine nous occupe bien assez. Mon but n’est pas de faire de l’argent, mais simplement de vivre de mon métier de façon durable.

Et demain, maintenant que vous avez atteint vos capacités maximales de production ?

L’objectif est de stabiliser ce modèle. Chaque année, ce sont des amis, des clients, des sommeliers qui se mobilisent pour les vendanges… Nous allons aussi finir de restaurer les bâtiments et continuer à expérimenter pour optimiser encore nos procédés. Il faut les pérenniser. D’autant qu’ils font de plus en parler d’eux. Les mentalités changent, les perceptions évoluent. En moins de 10 ans à Nuits-Saint-Georges, nous sommes passés de « fous » à « visionnaires »…