Rencontre avec Jacky Rigaux, auteur et érudit du vin

Cela fait plus de 50 ans que ce militant écologique de la première heure étudie le monde du vin, autour de deux thématiques clefs : le terroir et la dégustation. Aujourd’hui retraité de l’Université de Bourgogne, il revient pour l’Athenaeum sur un demi-siècle d’observations, de recherches et de combats.

Dans les années 1980, vous vous êtes engagé avec Henri Jayer dans un « réveil des terroirs » : de quoi s’agissait-il ?

Ce mouvement est né du constat alors dressé. Les vins avaient tendance à tous se ressembler. Il avaient perdu de leur complexité… La viticulture chimique n’avait pas apporté les progrès que certains espéraient. C’est dans ce contexte de prise de conscience des excès de la chimie en viticulture que des vignerons ont décidé de se mobiliser aux côtés d’Henri Jayer pour sauver les terroirs.

Aujourd’hui, où en est ce mouvement ?

Dans tous les terroirs de France, le réveil a sonné. Divers chefs de file ont porté le message : Didier Dagueneau et Nady Foucault en Loire, Gérard Chave dans le Rhône, Henri Jayer et Michel Lafarge en Bourgogne… La chose est désormais admise : en Europe, le vin fin ne peut être que de lieu. Pour autant, nous sommes loin du tout biologique dans les vignes. Certes, les aléas climatiques n’ont pas arrangé la situation. En 2016 par exemple, après les gels de printemps, épisodes de grêle et autres sécheresses, des vignerons ont fait marche arrière, repassant ainsi en « conventionnel » comme on dit, c’est-à-dire en chimique. Mais, indépendamment de cela, le compte n’y est pas : les vins de terroir, eux-mêmes, tardent à passer en bio…

Car, un vin de lieu doit a minima être bio ?

Bien sûr ! Les vins de terroir expriment au plus près le message du lieu. À l’évidence, les engrais chimiques, pesticides, fongicides et autre filtres brouillent ce message. Dès le VIe avant J.-C., les premiers rationalistes avaient pourtant prévenu : nous devons toujours nous demander si nos interventions sur la nature sont bénéfiques pour elle, disait en substance Thalès. Peine perdue. Après le XVIIe siècle, c’est la vision d’un homme maître et possesseur de la nature qui est défendue. Davantage de raison s’impose désormais, maintenant que les méfaits des produits de synthèse sur le fonctionnement des plantes et de leurs sols sont avérés. Plus de 80% de la biomasse, donc de la vie, se trouve sous nos pieds. Il nous appartient de la préserver. Dans cette quête, au-delà du bio, la biodynamie et l’agroforesterie montrent la voie.

Le réchauffement climatique que nous vivons rend encore plus nécessaire ce respect des terroirs ?

Évidemment ! C’est l’homme qui a déréglé la nature avec ses interventions. Après-guerre, consécutivement au plan Marshall, il a cru dur comme en fer en une agriculture moderne, intensive. Même si elle s’en sort mieux, la viticulture en a fait les frais. Il appartient aujourd’hui à la viticulture de terroir de devenir un modèle, capable de ramener des pratiques respectueuses de la vie dans le monde agricole.

Que diriez-vous du niveau général des vins aujourd’hui ?

C’est un certitude : en France comme ailleurs, les chefs de file de tous les vignobles de terroir signent des vins de très haute qualité, exprimant un message authentique de lieu, avec la même complexité qu’avant le phylloxéra. Nous le savons d’autant plus que nous disposons d’une méthode de dégustation permettant de lire ce message, tactilement, gustativement et olfactivement, et d’apprécier ainsi le terroir en question dans toute sa diversité, qu’il soit granitique, calcaire ou volcanique. Cette méthode, validée par les travaux du neuroscientifique Gabriel Lepousez, Henri Jayer et moi-même l’avons qualifiée de géo-sensorielle. Si elle gagne petit à petit du terrain, n’oublions pas qu’elle concerne à peine 5% des vins produits dans le monde, puisque l’immense majorité d’entre eux, de cépage ou de marque, sont technologiques.

Et la Bourgogne dans tout ça ? Comment ses vins ont-ils évolué ces 50 dernières années ?

Dans le bon sens ! Mais, là encore, je regrette que 90% au moins des domaines ne soient pas en bio ou en biodynamie.

Un mot sur la spéculation, qui sévit notamment en Bourgogne…

Le vin est devenu la boisson de la mondialisation. Comme tout le monde n’a pas les mêmes moyens, les plus riches, en particulier les nouveaux riches, s’accaparent les bouteilles les plus rares, les plus recherchées, faisant ainsi monter les prix. C’est dramatique, pour les vrais amateurs, mais pas seulement… Force est de constater que cette spéculation profite surtout aux intermédiaires et non aux vignerons eux-mêmes.