Rencontre avec l’illustratrice Magali Le Huche

Rencontre avec

Magali Le Huche, illustratrice du roman graphique Les petites reines

Créatrice de Paco, Non-Non ou encore Jean-Michel, elle signe cette fois l’adaptation en bande dessinée du roman de Clémentine Beauvais. Une réussite. Au point de figurer dans la Sélection Jeunesse 2024 du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. L’occasion de revenir sur un parcours foisonnant où il est question de sororité, de Marie Desplechin, de décalage, de The Clash et de même de bossa…

Comment ce projet est-il né ? Vous aviez aimé le livre ? Votre éditeur vous a proposé de l’adapter ?

Tout à fait, c’est Sarbacane qui m’a suggéré cette idée. Or, il se trouve que j’avais adoré un autre roman de Clémentine Beauvais, Songe à la douceur, et que ma fille, elle, s’était délectée des petites reines, alors qu’elle a d’habitude du mal à lire. Mieux, j’avais déjà rencontré l’autrice et pu apprécier sa drôlerie, sa finesse… Bref, toutes les raisons étaient réunies pour que je me plonge dans ce livre. Après cela, je n’ai pas hésité un instant.

L’adaptation s’est faite facilement ?

J’avais déjà réalisé un premier travail d’adaptation de la série de Marie Desplechin, Verte, Pome et Mauve. Des romans destinés à un plus jeune âge. Cette fois, face à un livre plus dense, écrit plutôt pour les adolescents, la tâche s’est révélée plus ardue, plus longue. Reste que j’adore les textes. Leur illustration s’est donc déroulée dans la bonne humeur. J’en garde un bon souvenir. De manière générale, j’aime ce travail d’adaptation : me mettre dans la peau des personnages, essayer d’illustrer leurs propos…

Pourtant, bien des écueils existent…

Bien sûr. Pour ma part, dans ce type d’exercice, ma crainte principale est de savoir si je peux oui ou non apporter quelque chose de plus au roman. D’autant qu’il s’agit souvent de livres qui ont connu un certain succès, qui ont rencontré leur public. Le risque de le décevoir existe…

Dans le cas présent, comment vous en êtes-vous sortie ?

Pas évident de répondre à cette question… J’essaie d’aborder ce travail comme celui d’une traduction par l’image. Notamment, dans la psychologie des personnages, leurs mouvements : qu’est-ce que les dessins, les cadrages, peuvent apporter sur ces différents points ?, comment donner corps à ces personnages par l’illustration ?, qu’est-ce qui va interpeller le lecteur ?…

Et qu’en est-il des textes : vous les retravaillez ?

Je leur reste toujours hyper-fidèle. Impensable pour moi de les réécrire. J’ai beaucoup trop de respect pour eux. Qu’il s’agisse des textes écrits par Clémentine Beauvais comme ceux de Marie Desplechin. J’admire ces dialogues, leur humour, leur intelligence… C’est ça qui me porte, ça que j’ai envie de retranscrire. Bien sûr, je ne garde pas tout, par exemple les descriptions très littéraires. Si elles sont utiles au roman, elles n’ont pas toujours leur place dans une bande dessinée. Pour autant, il n’est pas question de trahir les lecteurs ayant apprécié cette écriture, cette patte. Tout en la respectant, je cherche à lui donner une dimension supplémentaire grâce aux images.

Ce livre, l’odyssée de trois adolescentes, fait écho à l’un de vos titres précédents : Les sirènes de Belpêchao, l’histoire de trois femmes qui partent en découdre avec la mer. C’est une coïncidence ?

Je n’avais pas fait le lien, je l’avoue… On retrouve effectivement dans l’un comme dans l’autre cette notion de sororité. Ce n’était pas réfléchi, mais sans doute que cette forme de solidarité me parle. Elle renvoie, dans la vie, à des valeurs qui me sont chères : l’entraide, le soutien…

Pour le féminisme, contre le harcèlement… : cette bande dessinée est militante, voire salvatrice pour certains. Est-ce ça aussi le rôle d’un livre ? Montrer la voie ?

Complètement, oui. Ça me plaît d’aborder des sujets graves avec un certain décalage. C’est un moyen, je trouve, de rendre ces questions supportables. L’humour aide à prendre de la distance et donc à mettre sur la table des sujets qui pourraient autrement fâcher.

Visiblement, cela plaît aussi aux autres, puisque Les petites reines compte parmi la Sélection Jeunesse 2024 du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême…

Une super nouvelle ! C’est la première fois. Que le livre soit lauréat ou pas, je suis d’ores et déjà hyper contente de faire partie de cette sélection. D’autant qu’il se retrouve à côté d’ouvrages que j’ai adorés. Je pense à Pépin et Olivia. Je suis fan de Camille Jourdy. J’aime tout ce qu’elle fait. Il y a de quoi être fière.

Vous parliez de sororité, de solidarité… Ces liens existent dans l’édition jeunesse ?

Oui, je trouve. Nous avons cette chance. Peut-être parce qu’on s’adresse à des enfants. Il n’y a pas du coup de gros problèmes d’ego. Notre public aime ou pas, point. Seule l’histoire compte. Il se fiche de l’avis des médias ou d’autres, nous mettant ainsi chacun au même niveau. Et puis, c’est un petit milieu, tout le monde se connait. Donc, effectivement, j’ai plutôt l’impression d’avoir noué des relations assez fortes et amicales avec de nombreuses autres auteures et illustratrices.

Vous ne réalisez pas que des bandes dessinées, puisque vous passez régulièrement du côté de l’illustration jeunesse, avec Paco par exemple ou encore Non-Non. Ce sont deux univers totalement distincts ?

Ils diffèrent, oui. Dans une bande dessinée, chaque dialogue est illustré. C’est au fond assez proche de la mise en scène. L’investissement est totale. En illustration jeunesse, la liberté est plus grande. L’image ne dit pas tout le texte. Les respirations sont possibles. Mais, dans un cas comme dans l’autre, cela reste du dessin, une représentation des personnages et de leurs aventures. Il y a donc une forme de continuité, voire un entre-deux. C’est ce que j’essaie de faire avec Jean-Michel, le caribou super-héros.

Paco, lui, va avoir 10 ans cette année : que nous préparez-vous du coup ?

Je ne sais pas si j’ai déjà le droit le dire, mais il va faire une fête d’anniversaire…

Et, à part ça, d’autres réalisations en vue ?

Oui ! Je travaille sur un album pour les éditions Les fourmis rouges, une maison que j’aime beaucoup et avec laquelle je collabore souvent. Il s’agit cette fois de l’illustration à la peinture d’un livre de Pauline Pinson, une amie très proche – on s’est connu aux Arts déco -. C’est elle qui réalise l’adaptation en série d’animation des Jean-Michel. À venir, j’ai également un album jeunesse écrit par David Sire pour Sarbacane et une bande dessinée adulte, sur un sujet plus personnel et grave, toujours abordé de manière décalée : mon cancer du sein et ma passion dévorante d’alors pour Joe Strummer, le leader de The Clash. À ce moment de ma vie, j’avais besoin de cette énergie musicale singulière qui est celle du punk. Ce sera une suite logique de Nowhere girl, dans lequel je racontais ma phobie scolaire sur fond de Beatles mania. La musique m’a toujours accompagnée. Elle m’inspire…

Vous travaillez donc en musique ?

Ça dépend de la tâche et de son avancée. Quand j’écris ou je scénarise, comme sur Les petites reines, j’ai besoin de silence. En revanche, lorsque je suis en phase de crayonné ou de mise au propre, j’écoute des choses très diverses, passant souvent d’une obsession à l’autre : les Beatles, The Clash… En ce moment, c’est Adoniran Barbosa. La musique m’aide à me concentrer, à me lâcher, à m’inspirer.