Rencontre avec Alice Feiring

Dans son 8ème et dernier livre enfin publié en français, Pour tomber amoureux, buvez ceci, la journaliste et autrice américaine, grande défenseuse des vins naturels, se plonge dans ses souvenirs de « quilles » les plus touchants. Petite mise en bouche, avant sa venue à l’Athenaeum ce 10 septembre.

Comment est né ce livre très personnel, mêlant autobiographie et conseils sur le vin ? Du constat dressé à la fin de son introduction : « le vin, c’est la vie » ?

Au début de la pandémie de COVID, j’ai écrit une première version du dernier chapitre du livre actuel , « De l’angoisse et de la tentation de boire seule ». Mon agent l’a adorée : « Je veux un recueil entier de ce genre ! ». C’est ainsi que je me suis lancée dans l’écriture de mes mémoires, non pas de manière directe et exhaustive, mais en retenant des moments choisis, importants de ma vie, ayant un rapport, même subtil, avec l’odorat, le goût, le vin… Ce dernier s’est imposé à moi naturellement, même si, je dois bien le reconnaître, initialement, je ne pensais pas en parler. Car, celles et ceux qui aiment le vin ne souhaitent pas nécessairement lire sur ce sujet, tout comme les personnes qui n’en boivent pas. Un constat pour le moins décevant : le vin symbolise avec force la vie, la culture et l’humanité ! D’où mon envie, à travers mes publications, de « séduire » les lecteurs pour qu’ils s’y intéressent davantage. De ce point de vue, mon livre Pour tomber amoureux, buvez ceci est certainement le plus abouti. J’entends souvent dire que ses lecteurs, une fois l’ouvrage terminé, se rendent directement chez un caviste. Cela me fait plaisir.

Chaque chapitre s’organise autour d’un souvenir, d’un vin et d’une visite du domaine concerné…

Pour rédiger ce livre, j’ai pris le parti de me concentrer d’abord sur les textes relatifs à mes souvenirs clefs, puis de les analyser pour voir quelle thématique du vin soulevait chacun d’eux. Ça n’a pas toujours été aisé. Le premier chapitre consacré à mon grand-père, qui m’a éveillée à l’olfaction, s’est logiquement rapporté aux vins blancs aromatiques. Même évidence pour le dernier, sur la pandémie : à l’époque, tout ce que je voulais boire, c’était des vins oxydatifs. D’autres, comme mes retrouvailles avec un tueur en série, dans la prison de San Quentin en Californie, ou la visite des camps de concentration de Majdanek et de Birkenau, m’ont donné plus de fil à retordre. Reste, dans ces moments, un processus de création étonnant : vous ne trouvez pas d’issue ; vous partez marcher, faire du vélo ou du fitness, et une solution vous vient !

Vous êtes une grande amoureuse des vins naturels. Comment les définiriez-vous ? En quoi sont-ils, comme vous l’écrivez, de « vrais vins » ?

J’aime un blanc, des bulles, un rouge…, comme j’aime un plat ou un vêtement. Ils doivent être réalisés de la manière la plus naturelle possible. Dans le cas des vins, cela implique une viticulture biologique, sans ajout ni suppression. Donc, par exemple, une fermentation naturelle, sans enzymes, aliments pour levures, acides ni autres produits chimiques, et sans soufre aussi ou, à défaut, à très faible dose. Ces vins sont le reflet de la nature et non de l’idée qu’un négociant ou une région se fait de leurs goûts. Ils évoluent toujours, encore. Il s’agit alors de vrais vins à mes yeux.

L’intérêt que vous leur portez vous a même poussée à essayer de créer votre propre vin casher naturel…

Pas vraiment ! Je voulais, mais je n’ai pas réussi. Un jour peut-être. J’espère… Je trouve en effet très frustrant qu’il n’existe pas de vin casher naturel.

Au-delà de vos souvenirs, votre livre séduit aussi par son ton, direct, sans ambiguïté. Cela va de pair avec le sujet : parler des vrais vins, c’est parler franchement ?

Merci de ce compliment. Mon style d’écriture est sans doute lié à ma façon de vivre : j’aspire à rester la plus honnête possible avec moi-même.

Un des autres attraits de ce recueil réside dans son caractère très international : vous parlez du Chili, de la Moravie, de l’Italie… Est-ce ainsi que vous concevez votre métier ?

Les vins naturels du monde entier m’intéressent. Et, à dire vrai, je ne me suis penchée sur aucun de ces pays jusqu’à ce qu’ils commencent à en produire.

La Bourgogne a droit à son chapitre titré « Du vin pour une fugue »…

Impossible d’écrire un livre sans parler de la Bourgogne. En particulier celui-ci, dédié à mon amie disparue, Becky Wasserman. Pendant longtemps, c’est ici, dans cette région, que je me suis enfuie. C’est là où j’avais besoin d’aller, là où j’ai commencé à écrire presque tous mes ouvrages. J’y ai vu d’énormes changements s’opérer depuis ma première visite en 2000. Ils me touchent. Inclure la Bourgogne dans ce recueil de souvenirs s’imposait. Il ne pouvait en être autrement.

Revenons à votre profession : vous rejetez le terme d’experte ? Comment décririez-vous alors votre métier ?

Je suis une autrice, qui se consacre souvent au vin, afin de faire comprendre à mes lecteurs combien celui-ci est intimement lié à l’humanité et, de manière plus pratique, de les guider vers de merveilleux breuvages. Pour autant, je n’ai jamais étudié le vin à l’école. L’ensemble des connaissances dont je dispose, je les ai acquises par expérience, développant ainsi ma propre approche de dégustation et d’appréciation des vins. De là à être une experte…

Pascaline Lepeltier en est assurément une. Vous la remerciez d’ailleurs à la fin de votre ouvrage. Comment vous a-t-elle aidée ?

Pascaline est effectivement une experte. Ses connaissances sont immenses. Et, elle ne saurait contredire sa « mère américaine » ! Plus sérieusement, nous échangeons régulièrement, nous nous aidons mutuellement. De mon côté, lorsque j’ai besoin de vérifier des informations ou des faits précis, je m’adresse à elle pour être sûre de ne pas me fourvoyer.