Rencontre avec Florian Thireau

Fraîchement débarqué à Londres, en tant que directeur de la mixologie du Peninsula, l’ex-chef barman du Cheval Blanc Paris signe Abc des cocktails. Un répertoire précis de 200 classiques du genre, modernisés. L’occasion d’aborder avec lui son parcours, sa vision…

Comment êtes-vous venu à la mixologie ?

Un peu par hasard, à dire vrai ! Petit, je me rendais régulièrement dans la ferme de mon oncle, au nord de la Mayenne. Je passais alors plus de temps en cuisine avec ma tante que sur l’exploitation. Si bien qu’en fin de 3ème, mon père, qui avait toujours rêvé d’être cuisinier, m’a proposé de suivre cette voie. Mais, après six années d’études à Nantes, au lycée Nicolas Appert, je n’étais pas convaincu. Jusqu’à ce qu’un très bon ami me propose de passer derrière le comptoir. Le 17 novembre 2010, je faisais mes premiers pas au Buddha-Bar. Un lieu emblématique de la nuit, précurseur du lounge, une clientèle internationale, une équipe hyper motivée et passionnée… Une vraie claque ! J’étais mordu.

Vous avez ensuite enchaîné les expériences dans d’autres bars indépendants, avant d’évoluer dans divers palaces. C’est là que ça que se passe ?

Disons que ces établissements me conviennent davantage, à plus d’un titre. Ils offrent une rigueur, une étiquette, et apportent de fait un certain crédit à notre métier. Dans beaucoup de pays, être barman est encore mal considéré. Au-delà de ça, les palaces garantissent souvent un vrai confort de travail, en termes de laboratoire, de matériels, d’équipes…, permettant ainsi de nous concentrer pleinement sur les créations de cocktails. Et ce, dans un environnement particulièrement stimulant, où cuisiniers, pâtissiers, boulangers, sommeliers… rivalisent d’ingéniosité. Moi qui ai toujours rêvé d’étoiles pour un bar, je pense que ces établissements montrent la voie. Mais, c’est un avis très personnel.

Justement, comment définiriez-vous votre style ?

Grand amoureux des vins et des champagnes, j’essaie d’apporter leur équilibre, leur finesse, à mes créations. Prenons l’exemple du kir royal : j’ai retravaillé ce classique, avec le profil aromatique d’un vieux champagne en tête, en créant une liqueur qui, plutôt que de masquer le vin effervescent, se fond en lui pour créer une nouvelle émotion. Cette élégance est, me semble-t-il, ma marque de fabrique.

Autre réalisation d’importance, votre second ouvrage fraîchement paru aux éditions de La Martinière… 

Le premier,The cocktail book, abordait principalement les aspects techniques du métier. J’avais envie de le compléter d’un large répertoire de recettes. Encore plus durant le Covid, après avoir réalisé l’absence de références absolues en la matière. Pendant ces longs mois, je me suis souvenu de mes « années Buddha-Bar » où une base de données aux préparations de cocktails précises, vérifiées, à jour, me manquait. Telle est l’ambition de ce livre : fournir les recettes de 200 classiques du bar, en toute transparence, au ml près. Pas d’ingrédients ni de tours de mains cachés donc. Aucune approximation non plus. La précision apporte la régularité, signe selon moi d’une grande maison. Aujourd’hui, à mon sens, tout doit donc être mesuré, pesé… Des feuilles de menthe au bitter, en passant par le blanc d’œuf.

Au-delà de cette transparence et de cette rigueur, les recettes fournies témoignent d’une vraie volonté de modernisation…

Effectivement. Ce point-là m’obsède ! La modernisation des techniques et des goûts entraînent nécessairement celle des recettes : c’est logique. De la même façon que Cédric Grolet ou Maxime Frédéric ne réalise pas des croissants comme il y a 100 ans, je n’élabore pas un Manhattan comme mes aïeux. Je préfère par exemple le bourbon, plus chaud, plus agréable, plus accessible, au rye. Sans parler du procédé… L’équilibre d’un cocktail tient selon moi à deux facteurs : la dilution et la température. Dans le cas présent, j’estime que cinq pièces de glace, de 150 g au total, versées dans le mixtin, additionnées du bitter, de la liqueur, du vermouth rouge et du whiskey, puis mélangées 30 sec. permettent une dilution de 33% à 0°C. L’idéal à mes yeux.

Une telle précision demande en amont une implication folle !?

Oui, à l’évidence. Mettre au point les 200 recettes du livre, avec ce niveau d’exigence, m’a demandé plus d’un an et demi de travail. C’est là le reflet des nouveaux codes de notre métier. Aujourd’hui, à Londres, au Peninsula, entre la chambre froide, le laboratoire, le bar, le service…, je compte une trentaine de collaborateurs !

Et si vous deviez retenir deux cocktails pour cet été ?

Pas facile… Il y en a tellement ! Partons sur le London Mule, une variante du Moscow Mule popularisée après-guerre à l’hôtel Waldorf Astoria, et sur le Tramonto, une création personnelle pour le Prince de Galles, inspirée notamment du French 75. Deux recettes très fraîches, gourmandes, avec une belle acidité !