Rencontre avec Fred Bernard

Moins de trois ans après la parution de Carnet d’un voyageur immobile dans un petit jardin, l’illustrateur et auteur remet le couvert avec ce Carnet d’un jardinier amoureux du vivant, à paraître ce 1er mars, chez Albin Michel toujours. Un nouveau recueil de dessins et de réflexions, plein d’humour, conçu comme le journal intime d’un « observateur amateur semi-éclairé ». Explications.

« Aussi loin que ma mémoire me porte, j’ai aimé observer et dessiner les animaux et les plantes », écrivez-vous en ouverture de votre nouveau livre…

Oui, j’ai toujours eu envie d’apprendre leur nom et d’essayer de comprendre leur fonctionnement. Par atavisme, sans doute. Mon père était passionné par le vivant. Lors de nos balades en forêt, il nous sensibilisait mon frère et moi aux bestioles disparues comme à celles de retour, grâce à l’introduction du bio dans les vignes et aux efforts de l’ONF. Le 5 mai 1974, il faisait quand même partie des 1,3% de Français ayant voté pour l’écologiste René Dumont, au 1er tour des élections présidentielles ! De fait, la nature a toujours été très présente dans mes livres, dès le premier : La reine des fourmis a disparu abordait entre autres la question de la déforestation en Amazonie.

Comment sont nés ces carnets ?

À côté de cette passion pour le vivant, j’ai toujours dessiné. Au point d’en faire mon métier. Après avoir vécu 8 ans à Lyon et 15 ans à Paris, je m’étais promis de m’atteler à l’illustration de mon jardin le jour où je m’installerai à la campagne. Durant l’hiver 2017, ce rêve se réalisait. Alors que nous venions d’emménager dans d’anciennes écuries de Savigny-les-Beaune, je commençais à dessiner les premières perce-neige et autres plantes présentes, dans l’idée de dresser un inventaire de notre coin de nature et de le transmettre à mon fils Melvil, comme mon père l’avait fait avec moi. Il n’était alors absolument pas question de publication. Jusqu’à ce que mon éditrice chez Albin Michel tombe sur ce travail et me convainque d’en faire un livre. En 2020, à partir d’une sélection de 200 des 300 pages réalisées, sortait le Carnet d’un voyageur immobile dans un petit jardin. S’en suivait un très bon accueil. J’ai même eu la surprise d’être contacté par le paysagiste Gilles Clément pour l’accompagner durant deux de ses conférences et l’autoriser à utiliser certaines de mes planches qu’il trouvait pertinentes. Tout ça, sans jamais cesser d’observer et d’illustrer la vie de notre petit pré carré.

Pourquoi un 2nd opus ?

La nature évolue sans cesse ! Elle a toujours quelque chose de nouveau à raconter. Et puis, après l’inventaire de mon jardin, parsemé d’extraits d’auteurs et de poétesses sensibles au vivant, un peu comme le Journal champêtre d’Edith Holden, j’avais d’autres envies. Depuis longtemps maintenant, je rassemble aussi des réflexions plus scientifiques, d’ethnologues ou encore de jardiniers, sur les changements climatiques. Ce Carnet d’un jardinier amoureux du vivant en est parsemé. Il se révèle donc plus engagé que le précédent, tout en conservant, je l’espère, sa patte et son humour. Une conséquence du Covid sans doute, période durant laquelle la nature s’est rappelée à notre bon souvenir en reprenant ses droits, un temps…

Comment travaillez-vous ?

Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’un travail. Ce sont davantage des parenthèses que je m’impose entre deux planches de BD ou d’album, à raison de 6 à 15 pages par mois. Notre maison ouvre sur le jardin. J’y passe plus d’une heure par jour, hiver comme été. Toujours à bricoler, à observer. J’ai même une paire de jumelles au rez-de-chaussée et une autre à l’étage. Je scrute, je prends des notes, je cherche des informations çà et là pour alimenter mes réflexions, et je dessine. Soit en direct, soit plus tard, à partir de photos prises. Mais, d’une traite, à l’aquarelle d’abord. J’ai à cœur de garder une certaine fraîcheur, comme les croquis que je fais durant mes voyages. Puis, j’annote de commentaires et de dialogues, pour expliquer, informer, laisser une trace. 

Vous investiguez au-delà de votre jardin ?

Oui, c’était déjà le cas dans mon 1er ouvrage. Je retournais alors dans les endroits fétiches de mon enfance en Bourgogne : les falaises de Bouilland, Barbirey-sur-Ouche, Saint-Romain, Meursault… Cette fois, j’explore en famille, avec « ma blonde » et Melvil, d’autres sites : des plates-bandes de muguets à quelques encablures de la maison, le lac de Panthier… Tous ces lieux qui, au gré de notre quotidien, renseignent sur la nature environnante.

Qu’attendez-vous de ce nouveau livre ? Une prise de conscience ? Des actions ?…

Mes lecteurs sont d’ores et déjà convaincus par « la cause », je pense. En revanche, ils n’ont pas forcément la chance de pouvoir prendre le temps d’observer leur environnement. Peut-être le feront-ils davantage demain ? Et de constater, comme moi, que telle rivière ne coule plus, qu’il y a de moins en moins de bois à couper avec la sécheresse…, avant de le noter quelque part, avec ou sans croquis, qu’importe. Histoire de se souvenir, de transmettre et de mesurer plus tard ces évolutions, qu’elles soient négatives ou positives…