Rencontre avec Boris Pétric

En mai dernier, après la réalisation d’un documentaire très remarqué, cet anthropologue et directeur du Centre Norbert Elias signait Château Pékin. Un récit enlevé sur les chemins du vin entre France et Chine…

Quand et comment est né cet engouement des Chinois pour le vin ?

Le « wine rush » date du début des années 2000. À cette époque, la Chine s’ouvre, son peuple a accès à toute une série de produits « exotiques » à ses yeux et chacun peut désormais exprimer son individualité. Pour les Chinois, le vin symbolise alors le luxe, le plaisir, l’amour… Des films hongkongais à succès, consacrés aux nouveaux riches, racontent ainsi souvent l’histoire d’un homme fortuné, amoureux, qui finit par séduire la femme en question, et lui offre une jolie bouteille. De fait, le vin devient un cadeau très prestigieux, notamment les grands bordeaux, en particulier Lafite.

Quelle est l’ampleur de ce « wine rush » ?

Difficile de vous répondre précisément. En raison la pandémie de Covid-19, la Chine a fermé ses frontières. Aujourd’hui, il est presque qu’impossible d’y entrer et d’en sortir. Malgré cela, il apparaît que, sur les 1.400.000.000 consommateurs potentiels du pays, une toute petite portion déguste des vins. Essentiellement des jeunes urbains, de classe moyenne assez aisée, aux usages plutôt éclairés et mixtes, c’est-à-dire, entre hommes et femmes. Finie donc l’histoire du Chinois qui achète un Lafite pour le mélanger à du Coca-cola. De même, la pratique du cadeau de prestige n’est plus aussi prisée. Place à une consommation avertie, grâce notamment à l’émergence de clubs de vins et de bars dédiés.

Et qu’en est-il de la production de vins chinois ?

Face aux ravages du baiju, le gouvernement s’est engagé dans une lutte contre l’alcoolisme. Dans cette quête, le vin, moins fort, plus vertueux, lui est apparu comme un allié de poids. Les années 2000, surtout, voient ainsi se multiplier des joint ventures invitant en Chine de célèbres domaines étrangers et, avec eux, l’arrivée des meilleurs vignerons, œnologues…, notamment des Français, puis l’émergence de « vins de château » 100% chinois. Au point que, d’après les chiffres officiels, le pays disposerait de l’un des trois vignobles les plus importants au monde en termes de superficie, avec près de 900.000 hectares de vignes plantées.

Qui sont ces Chinois qui misent sur le vin ?

Il s’agit de personnes ayant déjà fait fortune dans d’autres secteurs d’activités, en quête de nouveaux territoires d’investissement, dans les campagnes surtout, depuis le coup d’arrêt de l’expansion des villes et donc de la promotion immobilière. Très soutenus par l’état, ils ont accès à des crédits, des facilités bancaires, des subventions…, pour créer des vignobles de toute pièce. Souvent des parcs œnotouristiques dans lesquels les Chinois se promènent le week-end, à la découverte de cépages très variés, exportés ou autochtones, dont le marselan que la Chine essaie de s’approprier, à l’image du malbec pour l’Argentine.

Et ces Français qui partent en Chine tenter l’aventure du vin, quel est leur profil ?

Portés par une stratégie donnant-donnant, les grands acteurs de l’économie viticole mondiale (LVMH, Rothschild, Castel Frères…) ont investi en Chine pour y implanter des vignobles, emmenant avec eux de nombreux flying winemakers et autres experts. Des consultants que certes l’argent motive, mais aussi l’aventure et les expérimentations que permet une législation quasi inexistante sur le vin.

Certains vins chinois sont-ils reconnus ?

Tous les journalistes, éditeurs et acteurs mondiaux du vin multiplient les efforts pour intégrer la Chine. Et pour cause, ce marché est tel… De fait, une dizaine de domaines chinois se distinguent dans diverses régions : le Hebei, près de Pékin ; le Ningxia, à côté de la Mongolie ou encore le Shandong, au nord de Shanghai.

Existe-t-il un goût chinois pour le vin ?

Si le marché américain a eu des incidences sur nos pratiques viti-vinicoles, comme l’a montré le documentaire Mondovino, la Chine n’est pas dans la même situation. Elle se distingue par une cuisine d’une grande diversité, où s’expriment l’amer, l’acide, l’astringent…, ainsi qu’une vaste culture du thé. De fait, en regard d’une telle richesse et d’une telle sophistication, il n’existe pas là-bas un unique goût pour le vin. Contrairement aux idées reçues, après avoir appris à apprécier les grands bordeaux, bourgognes, côtes du Rhône…, les amateurs chinois sont aujourd’hui plus sensibles à la singularité qu’aux régions viticoles. Les vins d’auteur les portent.

Sur quoi travaillez-vous depuis la réalisation de votre documentaire et l’écriture de votre livre ?

Comme anthropologue, j’étudie notre rapport à la nature, notre manière de nous distinguer et de nous fédérer entre humains. Dans ce domaine, la viticulture apporte un éclairage intéressant, puisqu’elle constitue aujourd’hui l’une des grandes monocultures intensives. En m’intéressant à la mondialisation du vin à travers le cas chinois, j’interroge ainsi leur souci de domestication des modes vivants. À l’opposé de ces pratiques, je me penche désormais sur le quotidien d’un monastère orthodoxe d’hospitalité de 17 sœurs, qui font du vin dans le sud de la France, en biodynamie. Elles portent un regard très différent sur l’intervention de l’Homme dans la nature… Un autre laboratoire.