Rencontre avec Olivia de Lamberterie

Avant sa venue à l’Athenaeum le 8 octobre prochain, la responsable des pages livres de Elle, chroniqueuse pour Télématin, intervenante au Masque et la plume et auteure de Avec toutes mes sympathies, répond à nos questions sur son second livre, édité chez Stock, Comment font les gens ?.

Votre premier ouvrage répondait à une forme d’appel, « comme si mon frère m’en avait passé la commande », lisait-on alors dans Elle… Qu’est-ce qui cette fois vous a poussée à vous y remettre ?

La découverte que l’écriture permettait de dire ce qui précisément ne se disait pas. Ce qui est indicible par pudeur et par convenance. J’aime tout ce que dit Joan Didion de l’écriture. « Nous nous racontons des histoires afin de vivre » affirme-t-elle, et écrire, c’est raconter les histoires de ces histoires. 

Pas facile, d’autant que vous vous saviez attendue, non ?…

Lorsque j’écris, je m’interdis de penser aux gens qui me liront, car c’est un exercice d’affranchissement pour moi d’écrire, se libérer entièrement du regard des autres. Et puis, évidemment, un jour il faut bien s’y soumettre ! C’est effrayant la sortie d’un livre, cela me donne envie d’aller m’expatrier sur la planète Mars. Mais bon, il vaut mieux être attendue qu’ignorée !

Ce livre, comme le précédent, s’inspire beaucoup de votre vécu : est-ce une nécessité pour vous ? En quoi le réel, notre époque, sont-ils inspirants ?

Ce qui m’intéressait, c’est de me plonger dans la psyché d’une femme de son temps, d’imaginer une femme miroir de son époque. Elle s’appelle Anna, elle est éditrice, elle a 50 ans et des poussières, trois filles plutôt « woke », un mari un brin largué, une mère qui perd carrément la tête et plein d’amies avec qui elle ne cesse de correspondre par sms. Anna, c’est un peu moi, mais c’est beaucoup vous aussi, j’espère ! J’espère que les femmes se reconnaîtront en elle, et ce qui me fait faire des petits bonds de joie en ce moment, ce sont tous les hommes qui me disent : Anna c’est moi !

Ce deuxième ouvrage est effectivement assez universel : vous aviez envie d’éveiller un maximum de consciences ?

Éveiller des consciences, non : j’ai déjà bien du mal avec la mienne ! Mais, raconter l’époque, ses folies, ses excès, ses ridicules, oui.  Dans la vie, j’hésite sans arrêt entre sangloter ou hurler de rire. J’avais envie de parler de ce que c’est que d’avoir 50 ans dans une société qui adule la jeunesse. Prenez les actrices sur les réseaux sociaux : si elles font de la chirurgie esthétique, elles sont insultées pire que si elles avaient volé le sac d’une vieille dame dans la rue ; si elles n’en font pas, elle se font démolir, car elles ont pris un coup de vieux ! Je voulais, sous une apparente légèreté, parler de choses profondes… Comment on traite, ou plutôt souvent maltraite, les vieux aujourd’hui ? Pourquoi l’école n’est-elle adaptée qu’aux enfants qui sont dans les clous ? Comment font les femmes pour tout faire ? Comment font les gens pour rester imperméables au malheur ambiant et être heureux quand même ?

À travers ces trois générations grand-mère/mère/filles se dessine une certaine évolution de la place des femmes dans nos sociétés. Dans quels sens ?

Anna se trouve coincée entre la génération de sa mère, celle des féministes historiques qui se sont battues pour le droit à l’avortement… et celle de sa fille, plus radicale et plus éveillée. Nine, Anna et ses filles ont une place différente dans la société et des différends. Mais, je ne voulais surtout pas les opposer, je pense qu’elles sont d’accord sur l’essentiel et qu’il va falloir que toutes les générations s’unissent sacrément pour lutter contre une conception réactionnaire de la vie des femmes qui arrive des États-Unis et qui existe déjà dans l’Assemblée Nationale. 

Il est aussi question de charge mentale, de tromperie, de mensonges…, le tout au fil d’une écriture haletante, d’un bloc, sans chapitre : c’est ça la vie d’une éditrice, épouse et mère aujourd’hui ?

Ma génération de cinquantenaires a eu l’illusion qu’on pouvait tout faire : aimer, travailler, élever des enfants… Ce qui m’intéressait, c’était de construire un suspense avec des thèmes très quotidiens et familiers – j’ai énormément travaillé le rythme, la ponctuation, les associations d’idées -, et aussi de faire tomber dans le domaine littéraire des thèmes qui n’y sont pas forcément, comme la charge mentale ou les devoirs des enfants. 

La rentrée littéraire se profile : comment se passe cette période pour une critique comme vous ? C’est quoi votre quotidien, vos stress, vos joies… dans ces moments ?

J’adore cette période en tant que critique. Depuis le mois de juin, je reçois les romans de la rentrée littéraire et j’ai l’impression d’avoir le droit d’ouvrir les cadeaux de Noël avant Noël ! J’ai toujours le même enthousiasme à découvrir de nouveaux textes, de nouveaux auteurs. Heureusement, car je lis tout le temps ! Et maintenant, j’écris tout le temps, mais pour moi cela provient du même élan finalement.

Quels ouvrages de cette rentrée conseilleriez-vous à nos lecteurs ?

Un enfant sans histoire chez Actes Sud m’a bouleversée. Qu’est-ce qui fait une vie ? interroge Minh Tran Huy. C’est vraiment intéressant. J’ai aussi été emballée par Cher connard chez Grasset, de Virginie Despentes. Elle n’est jamais où on l’attend, elle est à la fois radicale et tendre, j’adore cette fille, la patronne, c’est elle ! Et puis, La vie clandestine de Monica Sabolo chez Gallimard : puissant, passionnant, bouleversant. Le grand livre de la rentrée, sans hésitation !