Rencontre avec Régis Lejonc

Ses passages par Sciences Po ou encore les écoles de commerce n’y ont rien fait. Sa vocation artistique l’a emporté. Après avoir vécu de sa peinture, ce complet autodidacte a fait de l’illustration son quotidien depuis près de 30 ans. Une réussite ! En témoigne Le berger et l’assassin, son tout nouvel album co-signé avec Henri Meunier, aux éditions Little Urban.

Quel est votre lien à la montagne ?

J’ai grandi près d’Annecy, au pied de La Tournette, un des sommets du massif des Bornes. Même si je n’y vis plus, mes racines sont là. Je m’y sens plein, à chaque fois que j’y retourne. Du coup, lorsqu’Henri Meunier m’a demandé quel sujet j’aimerais dessiner, je lui ai spontanément répondu : « la montagne ! ». Notre nouvel album était en route…

Comment travaillez-vous avec Henri Meunier ?

D’habitude, à la première lecture d’un texte, je me fabrique mes images mentales. Elles confirment ou non ma légitimité à l’illustrer, puis, le cas échéant, elles imposent une atmosphère, un style. J’ai donc cette capacité à varier mon esthétique d’un ouvrage à l’autre. Pour autant, avec Henri, rien n’est si simple. Ses récits ont toujours l’art de me surprendre. Ils m’emmènent systématiquement en dehors de toute zone de confort. Dans le cas présent, si cette histoire se déroule à la montagne, elle n’a rien d’une errance, d’une contemplation. Il  s’agit avant tout d’un huis clos, très resserré, entre un berger et un assassin. Une illustration très cinématographique semblait donc s’imposer et, avec elle, un format de bandes dessinées. Je n’en voulais pas. À force de réflexions, je me suis dit que me concentrer sur le « où » plutôt que le « qui » était LA solution ou comment, par des tableaux de montagne et leur colorisation, coller à l’angoisse, la menace, l’apaisement… ressentis par les personnages, sans jamais les illustrer, à l’exception d’une page, à la toute fin…

Justement, quelles techniques avez-vous utilisées pour représenter les cimes ?

À partir de photographies de sommets existants, collées, déformées, malmenées, j’ai dessiné les contours de montagnes encore plus vertigineuses que dans la réalité. Le message étant de rappeler qu’elles sont plus fortes que nous, quoi que nous fassions, qui que nous soyons. Les traits définis, je me suis débarrassé de tous ces documents pour faire appel à ma mémoire et colorer, à sa lumière, les pics en question. C’est donc un souci de justesse à la fois des rendus et des ressentis qui a guidé ma manière d’opérer.

Le public de cet ouvrage pose question, non ?

Comme Fred Bernard, Henri Meunier et moi réalisons des albums hybrides, plutôt pour les grands. Ce livre en est une nouvelle fois l’illustration. Sa teneur philosophique et ses mots choisis ne sont pas toujours à la portée d’un enfant de 10 ans, mais l’histoire reste intelligible à partir de cet âge. Dans le même temps, son format surprend un lectorat adulte davantage adepte de bandes dessinées. Jusque-là, peu d’éditeurs assumaient un tel parti pris. Ce n’est pas le cas de Little Urban. Bien au contraire. Portée par Audrey Latallerie, cette petite maison a imaginé un vrai projet au long cours : chaque édition d’un nouvel album réalisé par Henri Meunier et moi sera suivie d’une réédition de l’une de nos anciennes créations. À venir donc une version remasterisée de La môme aux oiseaux, publié en 2003 aux éditions du Rouergue. Un autre éclairage…