Rencontre avec Marthe Henry, vigneronne

Elle était journaliste à Paris. Elle est devenue vigneronne à Meursault. C’est donc, dans les grandes lignes, l’histoire d’une reconversion. Entre, il est aussi question d’un négoce florissant, de douches froides, de belles réussites et de pas mal d’espoirs. Récit d’une deuxième vie…

Commençons par le début : votre première vie…

Née à Paris et littéraire de formation, je suis devenue journaliste de profession. À côté, je multipliais les petits boulots de communication autour du vin, histoire de faire bouillir la marmite. Jusqu’à ce que je convienne qu’il fallait arrêter de tourner autour du pot. Essayer de reprendre le domaine murisaltien de mon grand-père s’est imposé à moi.

Vous aviez donc un ancrage, un héritage, à Meursault ?

Oui et non. Pierre Boillot, mon aïeul, avait commencé à vinifier dans les années 50. C’était une figure locale : le chef des pompiers du village. En tant que tel, il avait participé au tournage de La Grande Vadrouille, dans la scène où la mairie brûle. Depuis, Gérard Oury et sa bande lui commandaient régulièrement des bouteilles. Il est malheureusement décédé en 2004. Avant, le vin ne m’intéressait pas. Après, il était trop tard pour apprendre le métier à ses côtés. Et quand bien même ! Ma grand-mère devait tout juste avoir le droit de mettre un pied en cuverie pour apporter des gougères ou un torchon propre. Le domaine était classiquement mené. Les femmes n’avaient pas leur mot à dire. C’est donc leur neveu qui a repris l’affaire en fermage, avec une fin de bail prévue pour 2023.

Et pourtant, vous vous êtes lancée ?

Oui, en 2013. Convaincue que les études « viti » ne devaient pas trop poser de problème, à l’inverse de l’apprentissage sur le terrain, je partais en quête d’un alternance. Un vrai périple ! J’étais un femme, parisienne, totalement inexpérimentée et, de surcroît, âgée. Engager un alternant de 28 ans coûte cher ! Personne ne voulait de moi. Seul un domaine a fini par accepter de me prendre… 18 rudes mois aux vignes : c’était très physique. Pas de quoi me décourager pour autant. Je suis têtue. D’autres expériences ont suivi et l’envie de mettre les choses en place avant l’échéance de 2023 a pointé. D’autant que, de retour chez moi, chaque jour, à 17h, j’avais tout le loisir de m’y consacrer. En 2017, avec l’aide d’un investisseur, je créais une activité de négoce : 12 pièces, 7 appellations et, déjà, des tonnes de paperasse. Très vite, la machine s’est emballée. Je doublais chaque année les volumes, pour réaliser en 2022, comme en 2023, environ 30.000 bouteilles. L’équivalent de 6,5 hectares !

Comment travaillez-vous ?

De manière générale, tous les blancs sont réalisés de la même façon et tous les rouges aussi. Ça simplifie la tâche, tout en permettant de vraiment apprécier les différences entre appellations, villages et climats. Dans le détail, les vignerons, amis pour la plupart, qui ont des pratiques que j’apprécie, me fournissent la matière première : des baies ou des jus déjà pressés sur les blancs ; des vendanges entières, en petites caissettes, sur les rouges… S’ensuivent un petit foulage avant encuvage, un inertage minimal pour éviter le développement de volatiles intempestives et un début de fermentation dans les 24 à 48h. Ici, ça part tout seul. Donc pas de levures externes ni d’enzymes. Pas de fût neuf non plus. D’abord, en raison des petits volumes réalisés au début : je craignais que les vins soient trop marqués. Ensuite, parce que ne connaissant pas grand-chose à la tonnellerie, je n’ai pas eu envie de m’échiner à gérer ce paramètre, en plus du reste. Du coup, j’achète des fûts de blanc d’occasion : les risques de volatiles sont moindres. Vient alors l’élevage : 2 ans pour les blancs et 18 mois pour les rouges. Les premiers sont embouteillés l’été, les seconds, plus tôt, l’hiver. Ça leur va bien, je trouve : ils sont plus fragiles. Et puis, ça permet de ne pas tout faire en même temps. Logistiquement, c’est plus pratique, vu l’exigüité des lieux. Je termine alors par un élevage en bouteille de 6 mois sur les blancs et d’un 1 an sur les rouges. De fait, il y a beaucoup de stockage. Ça me coûte. Mais, je me vois mal vendre un vin en demandant d’attendre avant de le boire. 

Vos interventions sont très limitées : diriez-vous que vos vins sont nature ?

Je ne le revendique pas, non. D’un millésime à l’autre, sur une cuvée, voire une pièce, il peut m’arriver de chaptaliser un chouïa, de sulfiter avant la mise, à de très très faibles doses, ou encore de pratiquer un petit collage à la bentonite. Je me plie à ces pratiques si la qualité des vins en dépend. Ils sortent déjà chers d’ici. C’est le lot du négoce. Je ne peux donc pas décemment proposer des jus instables, voire bancals, réclamant tel ou tel geste avant ou après ouverture. Ils doivent rester présentables, sans défaut d’une certaine manière.

Cela ne vous empêche pas d’expérimenter…

Non, au contraire ! J’essaie, lorsque c’est possible, de sortir des sentiers battus bourguignons, de me maintenir intellectuellement en vie, avec des macérations d’aligoté, des cuvées 100% sans souffre ou d’autres issues de cépages « lointains », comme le merlot il y a 2 ou 3 ans, le malbec l’année dernière ou le picpoul prochainement peut-être. Des expérimentations riches d’enseignements utiles. Je me suis par exemple rendue compte que la macération en grappes entières permet de perdre un demi degré d’alcool sur les aligotés. C’est peut-être une piste face au réchauffement climatique ?!

Quelle est votre situation aujourd’hui ?

Compliquée… Le neveu de mes grands-parents refuse de rendre les vignes. Un sacré coup dur. Je suis en procès. Difficile de me projeter du coup. Le projet, c’était de récupérer ces parcelles, de les travailler à ma façon, en 100% bio, et de compléter par un négoce, certifié bio aussi, pour sortir en moyenne 20.000 cols et vivre mieux. Là, je continue de courir après le temps et de composer avec un outil déjà au maximum de ce qu’il peut donner : 30.000 bouteilles par an, réparties sur 16 appellations – 11 en blanc et 5 en rouge -, toutes en Côte Chalonnaise et en Côte de Beaune (Savigny-lès-Beaune, Montagny, Rully, Pommard, Aloxe-Corton…). Si le marché français se tend un peu cette année, mes clients américains et canadiens continuent heureusement d’être demandeurs. Mieux, en ce moment, les Italiens, plébiscitent mes vins. Et, être présente chez des cavistes et des restaurateurs fidèles, partout en France, comme par exemple sur les cartes du Grand Restaurant de Jean-François Piège à Paris, me donne du baume au cœur !