Rencontre avec Cyrille Tota, créateur du « Toucher du Vin »

Amateurs et professionnels curieux saluent volontiers l’opiniâtreté de ce diplômé de l’Institut Universitaire de la Vigne et du Vin devenu « Tasteurologue » en chef, après avoir créé le premier outil portatif permettant d’apprécier la texture d’un vin grâce à un jeu d’étoffes. Ce 11 janvier, il sera à l’Athenaeum au côté de Florence Tilkens Zotiades pour parler vins grecs et toucher…

Le vin et la pédagogie vous ont toujours guidé…

Mon père adorait le vin. C’est avec lui que j’ai commencé la dégustation. À cette époque, je partais faire les vendanges à Gevrey-Chambertin ou encore à Volnay, ses deux vignobles préférés. De là à me lancer dans des études d’œnologie, il n’y a qu’un pas, vite franchi. Sauf qu’en même temps que je terminais le Diplôme National d’Œnologue, j’étais admis à l’école normale. Mon premier métier fût donc celui d’instituteur. J’ai gravi les échelons, suis parti à Nanterre préparer une licence, une maîtrise puis un DEA en sciences de l’éducation… Bref, je dispose d’un bon bagage en pédagogie, que j’ai complété ensuite par un double diplôme de l’Institut Universitaire de la Vigne et du Vin de Dijon.

Pourquoi avez-vous choisi de reprendre vos études autour du vin ?

J’ai recroisé le chemin du grand Jacky Rigaux. Lui m’a initié à la dégustation géo-sensorielle. Chercher à identifier et à caractériser les liens qui existent entre un lieu et le vin qui en est issu m’a passionné. J’ai donc replongé. Reste que j’avais du mal à m’approprier les descripteurs de cette méthode. Il manquait, à mon sens, un outil pédagogique adapté. Et puis, force est de constater qu’on parlait très peu de toucher, alors que, tous les scientifiques vous le diront : c’est le sens le plus actif dans la dégustation. « Vous avez entièrement raison : le toucher du vin, c’est fondamental, me lança Jacky Rigaux. Sa texture, c’est son étoffe… Il faut les réhabiliter ! »

Vous avez pris Jacky Rigaux au mot ?

Tout au fait. Au sens premier ! Après tout, le champs lexical de la dégustation nous y incite. Dans « Gargantua », Rabelais parle d’un « vin de taffetas, bien drapé de bonne laine ». Pour le négociant André Jullien, auteur de la « Topographie de tous les vignobles connus », les vins « dont le contact avec le palais fait éprouver une sensation agréable, qui n’est altérée par aucune âpreté » sont qualifiés de « soyeux ». Plus récemment, l’écrivain bourguignon Henri Vincenot écrivait, dans « La correspondance du vin », « Nous mâchâmes assez longuement ensemble, l’œil dans le vide, et lorsque la goulée fut avalée, après un temps d’extase discrète : – ça, c’est de la dentelle ! ». Et puis, les récepteurs qu’on a bout des doigts sont les mêmes qu’en bouche. Tout cela se tient.

Comment avez-vous validé vos théories ?

Des années durant, je me suis lancé dans toute une série d’expérimentations : je demandais à un public cible d’attribuer à chaque vin de terroir dégusté 1 ou 2 étoffes pour matérialiser son toucher. J’ai tout de suite été frappé par l’impact de ce procédé. Il décomplexe les dégustateurs. Il n’y a plus la barrière de la langue. Ils ont tout de suite les bons mots : c’est doux ou rugueux, fin ou épais, souple ou rigide, froid ou chaud… Petit à petit, j’ai affiné l’outil, en supprimant des tissus et en en testant des nouveaux. Jusqu’à ce que, fin 2017, une étude, scientifique cette fois, valide l’approche : un important panel de dégustateurs devait apprécier la texture de 9 vins différents, en choisissant pour chacun 1 à 2 tissus parmi 8. 74% sélectionnaient le même pour un vin donné et plus de 80% jugeaient l’outil proposé utile, voire très utile : « Le Toucher du Vin » était né, suivi en 2024 d’une nouvelle version baptisée « Tastovino ».

Un outil universel ?

Oui ! Son kit de 8 étoffes permet d’apprécier le toucher de n’importe quel vin dans le monde. Ma femme et moi avons passé plus d’un un an à le tester, des vignobles les plus éloignés de Nouvelle-Zélande à ceux d’ici, en Bourgogne. Mais, le procédé va bien plus loin. Il peut également offrir une lecture parcellaire du toucher d’un vin. À chaque tissu correspond en effet un type de sol : aux argileux, la soie naturelle et le taffetas ; au limon, le satin et la feutrine… De sorte que, pour un terroir précis, on peut identifier « le » tissu matérialisant la texture de son vin. C’est, par exemple, ce que nous faisons pour les champagnes RSRV de la maison Mumm.

Quel est votre quotidien aujourd’hui ?

Il se partage entre ces travaux justement sur la différenciation parcellaire pour le compte de divers clients, l’animation d’ateliers au sein des écoles de la Revue du Vin de France Academy, au côté de Franck Thomas, meilleur sommelier d’Europe, et la musique, ma troisième passion après le vin et la pédagogie. À mi-temps, je suis professeur de guitare et je dirige une chorale…

Et les vins grecs dans tout cela ?

Ils présentent un grand intérêt. Nombre d’entre eux sont issus de vignes franches de pied, c’est-à-dire non greffées. Ça leur donne une texture tout à fait spécifique, qui accentue cette marque du terroir. Le message du toucher est bien plus lisible sur ces vins-là. Notre séance du 11 janvier s’annonce passionnante !