Il est l’un des huit Master of Wine français sur les 400 et quelques que compte la planète vins. Journaliste, auteur, directeur de la Kedge Wine School, il vient de signer L’Odyssée du vin, un tour du monde des vignobles, vignerons, chais et bouteilles les plus remarquables…
Vos diplômes, votre précédent ouvrage intitulé Quel vin pour demain ? Le vin face aux défis climatiques… laissaient augurer un nouveau livre plutôt technique. Ce n’est pas le cas. Pourquoi ce choix ? Comment est né ce projet ?
Certes, devenir Master of Wine suppose un certain bagage technique, mais nous sommes avant tout des amoureux du vin et de ses voyages. Il n’y a donc rien d’illogique à vouloir de temps à autre partager mes émerveillements de manière simple. C’était d’ailleurs l’objet de mon premier livre. Vignerons essentiels consistait en un tour du monde des hommes et des femmes ayant marqué l’histoire du vin. Leur parcours, leurs obstacles… J’aime cela. Je voulais y revenir. Derrière tout raisin fermenté, il y a beaucoup d’histoires de géologie, de sociologie ou encore de géographie. Et autant de personnes formidables, étonnantes, intrigantes ; de lieux magnétiques… C’est tout cela que j’avais envie de raconter, sous différents angles. J’ai donc mis sur le papier un certain nombre de chapitres (le vignoble, la main de l’homme, le chai puis le vin), identifié pour chacun d’eux des thématiques au titre accrocheur et décalé, puis des exemples…
Justement, comment avez-vous sélectionné ces vignobles, ces vignerons, ces chais… ?
Comme je le disais, les angles et les thématiques choisis m’ont guidé. Avec, en tête, la volonté de mettre en avant des sites et des personnages qui m’ont réellement interpellé, impressionné, intrigué et, au fond, de réunir les histoires qui me semblaient être les plus fortes.
Dans ce cheminement, vous ne vous êtes pas limité à la France…
Non. Le choix de l’international s’est très vite et très naturellement imposé à moi. Si la France constitue évidemment l’un des fiefs du vin, elle n’a pas le monopole de la qualité. La vigne a trouvé sa place un peu partout dans le monde. Aux quatre coins de la planète, des projets passionnants se montent. Ces histoires, parce que je suis curieux, parce que je voyage beaucoup, je les entends et les vis parfois. J’avais donc la possibilité de les partager et d’apporter aux lecteurs une dimension nouvelle, celle d’un voyage immobile. Le vin, à lui seul, est un vrai moyen de locomotion.
Dans les chapitres consacrés aux vignobles et aux chais, il est avant tout question de regards, de plaisirs des yeux. C’est aussi cela apprécier un vin ?
On peut évidemment aimer un vin sans forcément connaître son terroir d’origine. Pour autant, l’imaginer ou le voir nourrit davantage cette émotion. Pour moi, l’esthétique d’un vignoble compte parmi les dimensions les plus éclairantes, les plus essentielles. Ce n’est évidemment pas la seule. La géologie comme le microclimat des lieux importent tout autant. Mais, j’ai pu mesurer, à travers mes voyages, combien certains vignobles marquent les esprits par leur esthétique singulière. Je pense par exemple à la colline de l’Hermitage. L’arpenter saisit. Quelque chose de puissant vous prend. Raconter avec mes mots et de belles photos cette musique participe aussi de l’aventure, du récit…
Mieux, dans bien des cas, l’esthétique d’un vignoble renseigne sur ses breuvages, eux-mêmes, non ?
Bien sûr ! Pour revenir à la colline de l’Hermitage, entre le côté très pauvre des granits des Bessards et la grande tension de ses vins, qui ont quand même beaucoup de charpente et de droiture, une corrélation existe. Elle n’est pas systématique, mais il y a souvent des traits communs entre le lieu, ce qu’il évoque, et le caractère de ses vins.
Concernant les vignerons maintenant, qu’ils rentrent dans la catégorie des « Pionniers », des « Insoumis », des « Défricheurs », des « Poètes » ou encore des « Missionnaires », les épreuves, les difficultés systématiquement rencontrées frappent. C’est aussi cela ce métier ?
Le grand vigneron est en doute permanent. Son avenir tient à peu de choses. Chaque millésime est un petit miracle renouvelé. En l’espace d’un instant, une grande partie de sa récolte peut être sérieusement endommagée. Chaque année, l’équilibre dans son raisin est différent… C’est ce qui rend ce métier extra-ordinaire. Sans parler du fait que le vin est multiple : ce peut être un objet de convoitise, une manière de se révéler… De fait, les obstacles sont légion. Au début du livre, je cite Alcée : « Le vin est le miroir de l’homme ». J’en suis persuadé. Il y a une forme d’adversité qui marque l’histoire du vin comme elle marque l’histoire de l’homme.
La Bourgogne figure en bonne place dans votre odyssée. Trois histoires la mettent à l’honneur : celles des Saint-Georges, de Jean-Marie Guffens et de l’Abbaye Saint-Vivant de Vergy. En quoi vous paraissent-elles remarquables ?
L’Abbaye de Saint-Vivant de Vergy, c’était une évidence. Il y a là les fondations du vignoble bourguignon, les premières pierres d’appellations qui nous font tous rêver, une compréhension extrêmement fine des terroirs que ses moines ont su transmettre… Qui plus est, depuis la fin des années 1990, l’enceinte monastique fait l’objet d’une incroyable restauration initiée par le domaine de la Romanée-Conti, son nouveau propriétaire. Se voir raconter cette histoire, au sein même de l’abbaye, de la bouche d’Aubert de Villaine puis de Bertrand, pouvoir la retranscrire ensuite… Quel plaisir ! Un peu égoïste certes, mais il faut aimer les histoires que l’on écrit pour que les lecteurs les apprécient à leur tour. Pour ce qui est des Saint-Georges, les laissés-pour-compte des classements m’ont toujours intéressé. De ce point de vue, j’aurais pu choisir le Clos Saint-Jacques à Gevrey-Chambertin ou Les Perrières à Meursault… Mais, à mon sens, s’il est un vignoble qui a été pensé pour être le Grand Cru de Nuits, c’est bien Les Saint-Georges. Il était prédestiné à l’être, il ne l’a pas été. En tout cas, pour l’instant, puisqu’un collectif œuvre désormais en ce sens. Le troisième rendez-vous bourguignon de ce livre s’imposait tout autant. Jean-Marie Guffens a réussi à mettre en lumière l’une des parties les plus passionnantes de la Bourgogne où il produit des vins parmi les plus fascinants de la région. Et puis, le personnage est haut en couleur, très attachant, d’une intelligence viti-vinicole incomparable… Partager cela, ses bons mots, tombait sous le sens.
Au final, L’Odyssée du vin peut se lire d’une traite, mais aussi par intermittence, en zappant d’une histoire à l’autre. Cette accessibilité était une volonté affichée ?
Oui, j’ai assez vite exprimé cette envie. Après mon livre sur les changements climatiques, je souhaitais revenir à plus de narration. Il n’était pas question pour autant d’opter pour une vulgarisation à outrance. Je déteste le manque de profondeur. J’ai donc veillé à raconter des histoires courtes, mais avec de la substance. C’était l’idée. Se mettre à la place du lecteur qui n’est pas nécessairement un professionnel du vin ou un amateur très éclairé. L’exil des luthériens vers l’Australie méridionale, les huguenots partis pour l’Afrique du Sud… : à travers le monde, les sujets permettant à tous de toucher du doigt la dimension exceptionnelle de certains vignobles ne manquent pas.
Partagez-vous du coup l’avis de Pascaline Lepeltier ? Dans la préface de votre livre, la M.O.F. et Meilleure sommelière de France estime qu’il s’agit là d’une « entreprise à la fois plus personnelle et plus universelle » que vos précédents ouvrages ?
Plus universel, je ne sais pas. Mes deux précédents livres l’étaient sans doute autant. Chacun à leur façon. Dans le premier, la moitié des 26 vignerons présentés n’était pas français. Pour ce qui est du second, difficile d’aborder la question des changements climatiques sans s’intéresser à ce qui se passe aux quatre coins de la planète. En revanche, plus personnel, c’est une certitude. Rien n’était dicté. C’est moi qui ai choisi le chemin de fer ainsi que chacun de ses rendez-vous. Et ce sont mes voyages, tous ces moments de vin qui m’ont touché, que j’ai voulu partager avec les lecteurs. Donc, oui, à l’évidence, il y a davantage de moi dans cette odyssée.