Le 11 mai prochain, à l’occasion de la publication de son dernier livre chez Grasset, Si tu veux la paix, prépare le vin, la journaliste vin au Mondeet auteure sera des nôtres, pour une séance de rencontre-dédicace. D’ici là, petit jeu de questions-réponses en guise d’apéritif…
Vous n’avez pas de racines en Bourgogne, vous êtes issue d’une famille qui boit peu ou pas de vin… Comment est né votre intérêt pour cette région viticole ?
De sa force historique. Elle m’a aimantée après que mon maître d’étude en histoire du droit à La Sorbonne m’ait orientée vers cette région. De là à bifurquer vers ses vins, véritables expressions de sa richesse, il n’y a qu’un pas. Au milieu des années 1990, l’homme d’affaires champenois Joseph Henriot m’a confié l’inventaire des archives de Bouchard Père & Fils. Quelques semaines plus tard, Louis Latour, de la maison éponyme, m’a engagée à son tour, avant que ne lui succède le maire de Meursault, puis Patrick Landanger, propriétaire du domaine de la Pousse d’Or. Et voilà qu’en étudiant des entreprises viticoles de Bourgogne, j’ai rencontré petit à petit celles et ceux qui participent à son rayonnement actuel. Je me suis attachée à eux et à leur terre, au point de proposer au Bien Public de tenir une chronique hebdomadaire sur le vin, moi qui n’y connaissais encore pas grand-chose…
Quand et comment les vins de Bourgogne ont-ils dépassé le statut de simple de jus de raisin fermenté pour devenir un sujet de culture ?
Ce sont les ducs de Bourgogne qui lui ont donné ses lettres de noblesse. Eux, les premiers, en ont tout de suite mesuré l’intérêt à la fois esthétique et diplomatique. En définissant ses meilleurs territoires ainsi que ses cépages les plus fins, en portant les arts de la table à leur plus haut niveau, ils ont permis au vin de participer à cette quête d’esthétisme absolu et de raffinement suprême, au même titre que la musique, la sculpture ou encore la peinture. La Bourgogne atteignait alors un niveau de faste jamais vu. Plus encore, après la signature du traité d’Arras en 1435, suivie de 25 années de paix européenne, durant lesquelles chacun a davantage cherché à valoriser ses territoires plutôt qu’à les défendre.
Quelles sont les raisons du succès actuel des vins de Bourgogne ?
La paix justement ! En Bourgogne, elle a perduré. Ce n’est pas le cas du Bordelais par exemple, un temps anglais ; ni de l’Alsace, elle aussi occupée. Cette antériorité ininterrompue fait sa force. Elle a vu cette région procéder à ses propres choix, les accepter et les transmettre. Une viticulture de qualité passe nécessairement par cette transmission.
Dans ces conditions, le modèle bourguignon paraît difficile à dupliquer…
Pourtant, il l’a été, çà et là, un temps… Dans mon livre, je cite le cas d’Hervé Bizeul. Avec l’aide du vigneron de Vosne-Romanée Jean-Yves Bizot, le créateur du Clos des Fées a planté dans le Roussillon, sur un coteau argilo-calcaire orienté sud-est, une dizaine d’hectares de pinot noir, dont le matériel végétal provient des grands crus de la Côte de Nuits. Mais, à ma connaissance, à ce jour, ils n’ont réussi à sortir qu’un seul millésime de ce vin en IGP Côtes Catalanes, proche selon eux d’une vosne-romanée. Et quand bien même ils réussiraient à installer dans le temps cette production, qui pourra prendre leur suite ? Pour faire quoi ? La Bourgogne se distingue par sa permanence, le fruit d’un classement de ses terroirs issu de droit divin et donc indiscutable à l’époque. Prenons l’exemple du Languedoc. Bien que la dénomination Pic Saint Loup existe depuis les années 1980, il a fallu attendre 2016 pour que ses vignerons réussissent à se mettre d’accord, et encore, sur les délimitations de l’appellation seulement. Bien loin, donc, de toute question de hiérarchisation.
L’indéniable succès de la Bourgogne n’empêche pas les difficultés…
Comme partout, les changements climatiques actuels frappent la région. Et les vins s’en ressentent déjà. Je pense par exemple aux pommard ou aux gevrey du millésime 2019, dont j’ai du mal à reconnaître l’expression des pinot noir, bien qu’ils restent délicieux. Preuve que la vigne est parfaitement capable de s’adapter. En 11.500 ans, elle en a vu passer des périodes de sécheresse, de grand froid…, sans pour autant disparaître. Je crois profondément au recul historique et à la force d’adaptation des hommes comme du végétal. Les vins répondront donc présents, mais sans doute différemment. L’autre problématique à laquelle se trouve confrontée la Bourgogne est la spéculation. À mes yeux, un signe du balancier de l’histoire. Tous ces crus inaccessibles aujourd’hui, alors que ce n’était pas le cas hier, l’étaient sans doute à la grande époque des ducs de Bourgogne. Et puis, cette évolution conjoncturelle ne profite pas qu’aux propriétaires des grands domaines. Elle invite à explorer davantage la région en dehors de ses crus d’exception. Je pense notamment aux bourgogne aligoté ou aux rully… De sorte que le travail du vigneron en général s’en trouve davantage valorisé. Tant mieux !