Rencontre avec François Busnel

Ce 6 avril, à 19h30, le journaliste et critique littéraire François Busnel présente au cinéma CGR de Beaune son film-documentaire sur l’écrivain américain Jim Harrison, « Seule la terre est éternelle ». Présentation en avant-première…

Pourquoi avez-vous choisi de consacrer un documentaire à cet auteur ?

Jim Harrison est un romancier et un poète de haute sève, au souffle rabelaisien. Il a connu la gloire et la détresse, les cimes et la dépression. Il a exploré l’histoire du génocide des Indiens d’Amérique comme peu d’autres avant lui, a célébré le monde sauvage et la gourmandise, tout en écrivant des histoires d’une extrême délicatesse sur les blessures intimes… Mais si Jim Harrison est un immense écrivain, il est aussi un être humain intense, démesuré. Ce n’est pas pour rien qu’on l’a surnommé « Big Jim ». Sa vie est un roman. Jim Harrison est cet homme dont la présence au monde me bouleverse, m’aimante et me semble fournir une réponse aux questions du temps présent – l’éco-anxiété que ressentent beaucoup de nos contemporains, notamment. C’est ça que je voulais filmer.

Pourquoi, lui, selon vous, a accepté cette proposition de votre part ?

Le film doit énormément à l’engagement entier de Jim Harrison. J’ai parlé à Jim de l’idée d’un film non pas « sur » lui, mais « avec » lui, et « dans » le monde sauvage dont il parle dans ses livres. J’ai insisté de nombreuses fois. Puis, en juin 2015, Jim m’a dit : « Si tu as toujours envie de faire ce film, viens cet été ». J’ai réuni l’équipe et nous sommes arrivés à Livingston, Montana, au cours de l’été. Il m’a alors posé cette question : « Quelle histoire allons-nous raconter ? ». Je lui ai dit que je ne serais pas à l’image, qu’il n’y aurait ni archives ni voix off, que je ne raconterais pas sa vie comme un biographe le ferait. Il a souri et a juste dit : « On y va ! ». Il voulait être filmé tel qu’il était, abîmé mais debout, jubilant d’aller pêcher sur la Yellowstone River, marchant à Emigrant Peak, prenant la route pour rejoindre sa casitaprès de la frontière mexicaine, entouré d’amis chers. Cet engagement total de Jim dans le film a permis un certain nombre de séquences burlesques alors que le film est clairement le testament spirituel d’un homme au crépuscule de sa vie.

Que vous a-t-il appris de l’Amérique ?

Jim Harrison est l’un des premiers à avoir raconté l’histoire de la conquête de l’Ouest comme l’histoire de la cupidité. Il propose le récit des méfaits d’une nation sans mémoire et raconte la lente dégradation du monde sauvage sous les coups de boutoir de la cupidité. Du terrible massacre de Wounded Knee, qui marque la fin de la résistance indienne en 1890, jusqu’aux traumatismes des guerres d’Irak et d’Afghanistan après le 11 septembre 2001, en passant par les deux guerres mondiales, la Corée et le Vietnam, il ne propose rien de moins qu’une « contre-histoire de l’Amérique ».

L’autre « héros » de ce documentaire est le monde sauvage. En quoi cette nature, sa présence, s’imposait-elle ?

Toute l’œuvre de Jim est une célébration du rapport retrouvé à une nature à la fois majestueuse et dangereuse. C’est aussi l’un des propos du film : raconter comment la reconnexion à la nature, au monde sauvage, peut nous laver de tous nos soucis, nous aider à mieux vivre. Quand j’étais plus jeune, j’ai été très marqué par ce vers de Victor Hugo : « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas. » Peut-être ce film est-il la réponse à ce vers qui me hante. Lorsqu’il nous emmène pêcher sur la Yellowstone River, Jim dit qu’il aime les rivières parce qu’elles sont une parfaite métaphore de la vie : « Elles vont toujours de l’avant, impossible de revenir en arrière, tu ne peux qu’avancer ». Comment concilier cette marche en avant avec cette grande préoccupation de notre temps : les déserts avancent, les villes deviennent tentaculaires, la déforestation a scalpé les forêts primaires, le mépris des exigences de la nature conduit à ériger des barrages ou des centrales nucléaires un peu partout sur les territoire pris aux Indiens et, à ce rythme-là, il n’y aura bientôt plus grand-chose qui vaille la peine d’être vu ni à quoi on pourra donner le beau nom de rivières ou de forêts.