Rencontre avec Pierre de Benoist, gérant du Domaine de Villaine

Depuis 2000, le neveu d’Aubert et Pamela de Villaine conduit le domaine de Bouzeron qu’ils ont acquis en 1973. Pour l’Athenaeum, il revient sur près de 50 ans de petites et grandes histoires… 

Comment commence l’histoire de ce domaine ?

Dès leur arrivée à la Romanée-Conti au milieu des années 1960, oncle Aubert et tante Pamela affichent leur volonté d’élaborer leurs vins au sein de leur propre domaine. En Côte de Nuits comme en Côte de Beaune, les prix sont prohibitifs. Ils se tournent donc vers la Côte Chalonnaise. Là, Bouzeron retient leur attention. Le village est facilement accessible depuis Beaune, où ils résident alors, comme depuis Vosne-Romanée. Si bien qu’en 1973, ils acquièrent un domaine de 8 hectares, produisant des bourgognes aligotés, bourgognes blancs et bourgognes rouges.

Au-delà des aspects pratiques, quelles sont les raisons de ce choix ?

Mon oncle a tout de suite mesuré, je pense, l’intérêt du bourgogne aligoté de Bouzeron. Dès le XVIIIème, l’abbé Courtépée, grand historien de la Bourgogne, en faisait mention et, au XXème, l’histoire lui donne raison. Je m’explique… Après le phylloxéra, les porte-greffes américains permettent la reprise de la viticulture. En Bourgogne, décision est prise de se focaliser sur la notion de terroir, à travers deux cépages principaux : le chardonnay et le pinot noir. En conséquence, les aligotés plantés en altitude, à au moins 270 mètres, pour profiter d’une belle exposition, sont relégués plus bas, sur des sols riches, garantissant une meilleure productivité. Pas à Bouzeron. Les vignerons du village, modestes pour la plupart, n’en ont tout simplement pas les moyens. Là, l’aligoté est donc maintenu en haut de coteau. De la même façon, la vinification en foudre perdure : cela revient trop cher d’acheter des fûts. Tous ces particularismes témoignent d’une véritable capacité de Bouzeron et de ses aligotés à rester liés à leur terroir et à pouvoir continuer à l’exprimer au mieux. De quoi séduire mon oncle, au point de convaincre les autres vignerons des alentours de s’associer à lui pour déposer une demande d’appellation Village. Elle est obtenue dès 1998. Un dossier vite traité ! Et pour cause, tout était déjà là. Oncle Aubert a « simplement » réveillé une belle endormie.

Et vous, dans tout cela ?

À cette époque-là, le fils de vigneron de Sancerre que je suis étudie le droit à Paris, après avoir voulu être astronaute, puis pilote d’hélicoptère. De trop fortes tensions dans les yeux m’en avaient empêché. Parallèlement, afin de payer en partie mes études, je vends du vin pour l’enseigne Les Domaines qui montent, tout en me rendant aussi régulièrement que possible dans notre maison de campagne de Bretagne Nord. C’est là qu’un soir, autour d’un petit marc et d’une discussion sur la vigne et le vin, mon grand-père, Henri de Villaine, co-gérant de la Romanée-Conti, oncle Aubert et moi nous rendons compte que nous partageons la même vision de la notion de terroir. Suffisamment pour me proposer quelques temps plus tard de m’occuper de la gestion du domaine de Villaine. Si je refuse dans un premier temps, une visite sur place en 1999 me convainc finalement d’accepter : l’aligoté ne fait-il pas partie de la même famille aromatique que le sauvignon, le principal cépage de Sancerre ? Et voilà comment en octobre 2000, j’arrive à Bouzeron pour gérer l’élaboration de nos bourgognes aligotés, bourgognes blancs et bourgognes rouges, auxquels s’étaient ajoutés en 1991 les appellations Mercurey Les Montots et Rully Les Saint-Jacques.

Quels sont vos premiers chantiers ?

Parer à l’urgence : en août 2001, le jour de l’anniversaire d’oncle Aubert, on grêle à 100%. Même si les assurances prennent le relais, en grande partie, je dois vendre 2 hectares de vignes à Bouzeron pour payer les salaires de tout le monde… Passées ces péripéties, je décide de me concentrer sur la vinification, mon oncle ayant déjà fait beaucoup pour nos terroirs. Comme aujourd’hui, nous disposons alors de 17 parcelles d’aligoté, réparties sur l’ensemble de l’aire d’appellation et dont les raisins sont vinifiés séparément. D’où la tentation de les assembler en cave, de manière à goûter 17 nuances d’aligoté issus de 17 terroirs différents. Ça me paraît plus intéressant pour découvrir une appellation Village plutôt que de valoriser un à un ses lieux-dits. Porté par cette envie, je tiens à montrer à mon oncle que je suis le meilleur. Je veux tout changer. Me voilà parti tester l’ensemble des contenants possibles : cuves inox, amphores, fûts… Pour finalement constater que le foudre reste la meilleure solution. Premièrement, à notre échelle, il nous permet de vinifier chaque parcelle dans un seul et même contenant. À l’unité de vigne répond ainsi une unité de vin. Deuxièmement, il offre une micro-oxygénation très lente : nos levures indigènes – nous travaillons en bio depuis 1983 ! – ont tout le temps de laisser leurs empreintes les unes après les autres. Troisièmement, à l’intérieur du foudre, suite aux dégagements de gaz issus des fermentations alcooliques, un mouvement naturel du vin s’opère, comme un 8 allongé : le symbole de l’infinité, de l’immortalité… Un constat de taille pour nous qui avons mis en place des méthodes biodynamiques dès 2000 et qui sommes convaincus que le vin est porteur de mémoires : celles d’un terroir, d’un fruit et d’un vigneron, représentant de plus de 2000 ans d’histoires viti-vinicoles… De fait, nous divisons par deux nos dosages de souffre et passons à leur version volcanique. Autant de manifestations, à mon sens, de notre application à œuvrer le plus naturellement possible : nos vins ne sont pas nature, mais naturels.

Depuis 2000, le domaine s’est également beaucoup étendu…

Effectivement, après l’épisode de grêle et la revente de 2 hectares à Bouzeron, le domaine n’a fait que croître. En 2001, il compte 18 hectares en Bourgogne Aligoté, Bourgogne blanc et rouge, Mercurey Les Montots et Rully Les Saint-Jacques. Le temps aidant et nos pratiques s’affinant, nous sommes persuadés de l’utilité de trouver des vins qui permettraient de valoriser l’équipe et nos méthodes de travail. En 2011, nous récupérons des vignes de Santenay 1er Cru Passetemps. Un clin d’œil appuyé à notre ancêtre Jacques-Marie Duvault-Blochet, instigateur du domaine de la Romanée-Conti tel que nous le connaissons aujourd’hui et qui en possédait lui aussi. La même année, s’y ajoutent de nouvelles terres en Rully 1erCru Grésigny. D’autres acquisitions suivent : d’abord, en Saint-Aubin 1er Cru Les Perrières, en 2014 ; puis, en Rully 1erCru Les Margotés, Montpalais et Les Champs Cloux, autour de 2016 ; et, enfin, dans la foulée, en Rully 1er Cru Rabourcé, Raclot, Cloux et Les Champs Cloux. Si bien qu’aujourd’hui, le Domaine de Villaine réunit 16 appellations contre 5 à mon arrivée, réparties sur 30 hectares.

Toutes ces acquisitions n’ont pas été sans difficultés, non ?

Surtout du côté de notre organisation. En 2001, avec 18 hectares, nous sommes dans notre zone de confort. Nous fonctionnons parfaitement grâce à l’équipe créée par oncle Aubert. Elle est âgée certes, mais très expérimentée. Lorsque le domaine atteint 30 hectares, la situation se complique sérieusement : nous devons composer avec de nombreux départs à la retraite et des besoins humains nettement plus conséquents. Heureusement, depuis 1 an ou 2, notre jeune équipe est stable et enthousiaste.

Et aujourd’hui ?

La culture bio mise en place depuis 1983 est parfaitement assimilée par les vignes comme par les équipes. Nos pratiques biodynamiques, elles, permettent de respecter davantage les quatre énergies nécessaires au bon équilibre d’un sol et de ses vins : minérales (sols), végétale (cépages), astrale (planètes) et animale (l’homme et autres animaux vivant au côté des vignes). Et ceci grâce à l’eau du terroir captée par les fruits de la vigne. Elle vient harmoniser l’ensemble. De sorte que, si je devais grossir le trait, je me considère aussi comme un chercheur d’eau du terroir. La vision holistique de ce dernier, si cher à Rudolf Steiner, s’impose. Elle invite à voir plus loin que le seul fruit, à le détacher du vin et, ce faisant, à proposer une approche du terroir allant au-delà du terrestre. J’aime à parler d’une définition céleste du terroir et à croire que, dans cette optique, un de mes rêves de jeunesse s’est réalisé : devenir astronaute.