Rencontre avec Bernard Boisson, vigneron

Cette figure de Meursault n’a rien perdu de sa superbe. À plus de 70 ans, il continue d’accompagner son fils, Pierre, et sa fille, Anne, dans la conduite de leur domaine respectif, avec verve et malice. Une leçon de vie, haute en couleur !

Les longues lignées de propriétaires viticoles : trop peu pour vous, non ?

Nous, on vient de très bas. Une petite histoire dans la grande. Du côté de ma mère, un grand-père, mutilé de guerre, qui n’a jamais pu être vigneron. De l’autre, un arrière-grand-père métayer venu ici dans les années 1850, avec pioche et sécateur, à la recherche d’un gagne-pain. Chez lui, près de Tournus, on ne replantait pas après le passage du phylloxera. Son fils a eu plus de chance. Il s’est marié à une fille de Meursault qui avait des vignes. Ça l’a sauvé. Au terme de la succession, mon père s’est donc retrouvé avec un hectare de vignes moyennes, auquel s’ajoutait un autre, non planté, que possédait ma mère. Si on ne manquait de rien, on n’a pas eu trop de superflu non plus. Je peux vous dire que, les anciens, ils en ont mangé des pommes de terre ! Des œufs en meurette aussi : un fond de vin, du lard du garde-manger, des oignons du jardin, du pain rassis et ça faisait un repas. Dire qu’aujourd’hui, on en fait un plat bourgeois ! Bref, le 8 décembre 1954, je naissais dans les préfabriqués en tôle ondulée de la maternité de Beaune. Ça caillait ! J’étais tellement frêle que ma grand-mère a couru chercher l’une de ses connaissances des environs pour en faire mon parrain et me baptiser sur-le-champ : on n’aurait pas misé 2 balles sur moi !

Et pourtant, petit à petit, vous vous êtes imposé…

Moi, j’ai toujours su que je voulais être vigneron. J’y suis pas allé par dépit, après avoir tenté ma chance ailleurs. Non, je rêvais de la liberté et de l’autonomie qu’offre ce métier. J’ai pas non plus eu besoin de partir me former en Nouvelle-Zélande, en Californie ou je ne sais où. Le savoir-faire, les compétences, c’est ici à la « Viti » de Beaune que ça se passe ! Le monde entier y accourt. Reste qu’après l’école, en 1970, à 16 ans, vous pensez bien que j’allais pas faire ce que je voulais. Il a fallu attendre 1978 pour que je signe mes premières cuvées. Poussé par les Michelot, Matrot et consorts, je me lançais dans les élevages courts – il fallait que ça aille vite – et le vin en bouteilles. Fini le « je vous achète votre production si je veux, au prix que je veux ». Le vrac aux négociants, c’est plus possible. Ça va moucher rouge, je me suis dit. Le vin, je vais le vendre moi-même. Et voilà comment, après mon mariage en 1980, Boisson-Vadot est né, avant disparaître à son tour, quand Pierre s’est lancé en 2004, puis Anne en 2008. Il n’y avait aucune raison de garder notre nom. Le vin des uns n’est pas celui des autres. On vendange ensemble et la vinif’, c’est chacun chez soi.

Justement, qu’est-ce qui a changé d’une génération à l’autre ?

Dans les vignes, on s’est calmé sur les produits chimiques. Et heureusement, c’étaient des poisons violents. Les anciens en ont tellement bavé à piocher tout le temps qu’ils en ont utilisés à outrance. Ça va pas ça ! Faut pas que ce soit la pampa d’accord, mais qu’est-ce qu’on en a à faire qu’il y ait un pissenlit ici ou là ? Au chai, l’élevage aussi a évolué. Dès 2000, Pierre a eu envie de donner au vin davantage le temps de mûrir : 18 mois en fût, au lieu de 12… Ça lui permet d’être abouti, d’aller au bout de son cheminement. Il est alors indestructible. Avant, au pressoir pneumatique, on sert à fond pour aller chercher toutes les lies. C’est l’essence même du bon vin. Puis, on l’oublie. Au bout de 14 mois, on soutire. Le programme de la mise en bouteille est enclenché. L’heure d’une retraite méritée approche, à condition que le vin ait bien travaillé en amont. Là, à la dégustation, il faut savoir écouter ce qu’il a à nous dire. Le plus souvent, c’est « laissez-moi tranquille, laissez-moi vivre ma vie ». Au vin de décider. C’est lui qui commande et non le vigneron.

Et le souffre dans tout ça ?

On attend le dernier moment pour en mettre raisonnablement : au cours de l’élevage, en 3 ou 4 fois. L’œnologue conseille ; nous, on y interprète. Donc, jamais après la presse. Ça fragilise le vin. À trop vouloir le protéger, on ne lui rend pas service. Il faut savoir l’élever un peu à la dure. Les moines de l’Abbaye de Cîteaux l’avaient bien compris. Eux faisaient mûrir le vin non pas en cave, mais dans des celliers, aux écarts de températures importants. Au terme de son élevage, le vin était à même de supporter le transport : il en avait vu d’autres !

Puisque vous parlez températures, quel regard portez-vous sur les aléas climatiques ?

C’est pas nouveau ! L’histoire des vieux millésimes en est remplie. Avant, ça ne rigolait pas ! Alors qu’aujourd’hui, rares sont les très mauvaises années. Au pire une couleur sauve l’autre. 1974 et 1975 étaient difficiles en rouge. Mais, en blanc, ça allait. Et puis, même si de manière générale, en particulier sur les pinots noirs, pour que ce soit pas mal à la fin, faut quand même que ce soit bon, voire très bon, au début, il y a toujours des exceptions. Le temps joue parfois de drôles de tours. 2007 n’était pas du tout prêt à boire. Maintenant, c’est superbe. 2003 se distinguait par des petites récoltes et une très faible acidité. Et bien, j’en ai bu pour mes 70 ans, en Monthelie : c’était exceptionnel ! Le vin avait naturellement retrouvé sa voie. Il était d’une fraîcheur, d’une jeunesse… Je peux vous dire qu’il restait plus grand-chose. On avait mis la pompe en route !

Et demain ?

On aime avoir du vin en cave. C’est notre richesse. Et on a l’outil qu’il faut pour. Donc, on se donne pas de limite. Si la possibilité de nous agrandir se présente, on la saisit. C’est comme ça qu’on a acquis des vignes dans le Mâconnais, près du château de Cormatin, à 1h d’ici. Les vignes présentaient bien, les raisin étaient beaux… On replante aussi beaucoup, autant qu’on peut à partir de notre sélection massale. Résultat ? Pierre a 18 hectares aujourd’hui, dont 15 en production, Anne 4,5. À la clef, des dizaines de cuvées de vin… abouti !