À l’occasion des 50 ans de l’AOC « Crémant de Bourgogne », ce spécialiste du passé viticole de la Bourgogne et co-fondateur de PArHis (Patrimoine-Archive-Histoire) signe « Bulles » ou l’histoire de cet effervescent régional. Une succession de hauts, de bas, de surprises, de déconvenues… Passionnant.
Quel a été le point de départ de cet ouvrage ?
Il y a trois ans maintenant, l’Union des producteurs et élaborateurs de Crémant de Bourgogne nous a contactés, mon associé Guillaume Grillon et moi, pour étudier la question de la représentation de lieux, comme Chambertin, Romanée, Chablis…, dans l’histoire de la commercialisation des vins mousseux de Bourgogne. L’UPECB cherchait alors à obtenir de l’INAO l’autorisation d’inscrire une mention géographique complémentaire sur les étiquettes. Mais, de fil en aiguille, le sujet est apparu tellement riche que ce syndicat a décidé d’aller plus loin, en finançant un projet de plus grande envergure : l’écriture d’un livre.
Un livre-somme ! Près de 350 pages d’une histoire très étayée. Un travail de longue haleine, non ? Comment avez-vous procédé ?
Guillaume et moi avons consacré trois ans à ce projet. Un temps plein en ce qui me concerne. Nous avons consulté les archives publiques, bien sûr, mais aussi celles de certaines grandes maisons, comme Bouchard Père & Fils ou Veuve Ambal, et interviewé des acteurs clefs du secteur, à l’image de l’ancien président du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne, Jean-François Delorme… Bref, tout un travail de recherches et d’écriture très long et réfléchi.
Cette enquête vous permet d’établir quelques vérités. La première d’entre elles concerne l’antériorité des mousseux bourguignons. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils datent !
Leurs premières traces d’élaboration en Bourgogne, de manière très structurée, remontent aux années 1820. Nuits-Saint-Georges, Tonnerre et Chalon-sur-Saône en sont alors les épicentres. Ça, nous le savions déjà. Reste que nous n’avions pas mesuré l’ampleur du phénomène. Rendez-vous compte : les volumes de la maison Jules Lausseure et Cie par exemple représentent à l’époque le double de ceux de Bouchard Père & Fils ! C’est dire l’ambition affichée ! Et nous n’étions pas au bout de nos surprises… Ainsi, certains ouvrages anglais mentionnent l’existence de bourgognes mousseux dès 1720, au moment même où les champagnes commencent eux aussi à faire parler d’eux…
De 1860 à 1930 environ suit un véritable âge d’or des bourgognes mousseux. C’est une nouvelle découverte pour les lecteurs que nous sommes…
Une époque faste, effectivement, à différents points de vue. Tout d’abord, la champagnisation de grands crus est monnaie courante. Simonnet-Febvre produit son propre Moutonne mousseux et Labouré-Gontard son Clos de Vougeot effervescent. Mieux, ils se vendent aussi cher que les vins tranquilles correspondants. De quoi faire rêver les producteurs et élaborateurs aujourd’hui ! La clientèle, ensuite. Elle est très internationale. Comme en Champagne, les maisons de négoce concernées expédient partout dans le monde : en Angleterre, aux États-Unis, en Russie… Les volumes, maintenant. Pas d’estimation précise en la matière. Mais, en 1920, une production d’environ 3 millions de bouteilles de bourgogne mousseux paraît plausible, soit le même niveau que celui atteint dans les années 1970, avant l’adoption du décret d’appellation « Crémant de Bourgogne » ! Quant au profil des vins, il n’a rien à voir avec l’existant. Au début du XIXème siècle, les mousseux sont très très sucrés. Ils accompagnent en général les desserts. Puis, progressivement, à partir des années 1870, les Anglais plébiscitent des versions plus dry. Façon de parler : les dosages de sucre avoisinent tout de même les 5g/l !
Et ce sont les mousseux rouges qui ont la cote ?
Pas dans l’Hexagone, non. Les Français plébiscitent plutôt les grands vins blancs mousseux. Et puis, leurs pendants rouges se révèlent complexes à élaborer. Qu’importe, à l’étranger, sur les marchés anglais, scandinaves et américains notamment, ils connaissent un franc succès. Au point, au début du XXème siècle, de représenter sans doute les deux tiers de la production bourguignonne.
De manière générale, le livre renvoie une image inhabituelle de la Bourgogne des vins, loin de celle d’un produit de la vigne cousu main, de façon très artisanale, par des passionnés…
Sans doute, mais l’image d’Épinal dont vous parlez a été entièrement façonnée à partir des années 1970. Dans les faits, pendant l’âge d’or des bourgognes mousseux, leurs élaborateurs travaillent de la même façon que leurs confrères en vins tranquilles. Les uns comme les autres vinifient en grandes quantités, dans des chais extrêmement techniques. D’ailleurs, à cette époque, toute maison de négoce digne de ce nom vend les deux.
Malheureusement, dès les années 1930, le succès n’est plus au rendez-vous. Comment expliquez-vous un tel retournement ?
Hors champagnes, tous les vins mousseux paient cher la mise en place de la réglementation sur la protection des AOP amorcée en 1919. Les voilà relégués en bulles de seconde catégorie. Avec cette dévalorisation, les prix chutent et la qualité baisse. Car, faute de rendements suffisants, les producteurs n’hésitent pas à adopter une alternative moins coûteuse à la méthode champenoise : la cuve close…
Pourtant, rebelote : depuis les années 2000, la filière connait à nouveau une embellie…
Oui, au début des années 1970, une double constat s’impose : d’un côté, la consommation de mousseux bourguignons repart à la hausse. En France, elle rejoint même celle des champagnes. Une première dans leurs histoires ! De l’autre, le terme mousseux est devenu très péjoratif. Les producteurs ont donc tout intérêt à redorer le blason de leurs vins. C’est tout l’objet du décret de 1975. Outre l’adoption du mot « Crémant de Bourgogne », celui d’un cahier des charges sur la fabrication des vins de base change la donne. Avec lui, finie la champagnisation du tout-venant. Désormais, ne sont transformés en mousseux que des vins spécifiquement élaborés à cette fin. Reste qu’il faut attendre l’entrée dans le XXIème siècle pour que cette révolution porte ses fruits…
Aujourd’hui justement, quels sont les nouveaux défis des crémants de Bourgogne ?
En tant qu’historien, je ne suis pas la personne la mieux placée pour répondre à cette question. Mais, à mon sens, l’histoire récente témoigne de la capacité de ces vins à tracer leur propre chemin, sans marcher dans les pas du champagne. Ils ont trouvé leur place dans le monde de l’effervescence. À ce titre, deux visions coexistent aujourd’hui. Pour certains, l’assemblage reste la solution idéale pour élaborer des crémants de Bourgogne, là où d’autres misent sur le parcellaire…