À la fin de l’année dernière, il publiait un nouvel opus : Recettes & Récits. Un recueil de ses 155 recettes ultimes, tout registre confondu. Mieux, ce 12 février, François-Régis Gaudry sera à Beaune pour une Rencontre & Dédicace autour de cet ouvrage très personnel. Petit avant-goût…
Ce livre ne vient pas de nulle part : comme vous l’annoncez dans sa préface, vous avez toujours mitonné…
Si ma femme aime beaucoup cuisiner, elle a un peu lâché l’affaire. J’adore aller au marché tous les samedis matins, imaginer en chemin ce que je vais préparer, choisir mes produits… Et puis, souvent, à la maison, la cuisine est une forme de langage, une façon de porter une attention particulière à ses enfants, deux filles en l’occurrence, que je n’ai pas toujours assez vues compte tenu de mon travail. Ce rôle nourricier est le moyen que j’ai trouvé, sans doute, pour me rattraper. De fait, il s’agit avant tout d’une cuisine familiale, qui n’a aucune ambition technique. On est à l’opposé du défi ou du spectacle. De nature, je suis assez pressé. Mes recettes se font donc en 2 ou 3 gestes. Je ne me suis, par exemple, jamais lancé dans un pâté en croûte ou un Paris-Brest, bien que j’admire, en tant que journaliste gastronomique, ce travail de patience. Non, je suis davantage porté par le rapport efficacité-émotion. Comment ne pas y passer des heures et toucher les siens ?
Pourtant, cet ouvrage arrive assez tardivement, après pas mal d’autres. Vous évoquez une certaine retenue…
Oui, la faute à un petit complexe : le syndrome de l’imposteur. J’avais toujours cuisiné à l’instinct, comme le faisaient ma mère, Denise, et ma grand-mère, Mamyta. Je n’avais jamais rédigé la moindre recette. Pour les besoins de mes posts sur les réseaux sociaux et de mes émissions sur France Inter, j’ai dû m’y mettre. Reste que je doutais, tout simplement : cela va-t-il intéresser les gens ? J’ai fini par me convaincre que mes recettes avaient l’avantage d’être simples. Au fond, j’aime l’idée de basiques parfaitement réalisés : celle d’une caponata ou d’un porc au caramel exécuté dans les règles de l’art, mais sans agiter le twist du chef que je ne suis pas.
Est-ce que l’époque ne se prête pas aussi davantage à un recueil de recettes ménagères, patrimoniales et personnelles ?
Je le pense. Moi, j’ai toujours cuisiné comme ça. Mais, je le vois, à travers un certain nombre de tables que j’ai visitées dernièrement, comme La Ferme du Pré, de Frédéric Anton, ou Micheline, de Gilles Goujon : si cette cuisine simple, de cocotte ou pas, n’a jamais disparu, aujourd’hui plus que jamais, elle rassure. La blanquette, le bœuf bourguignon ou encore le steak au poivre… reviennent en force. Dans ces temps troublés, on a besoin de ces repères, de ces jalons identitaires, qui nous réconfortent et réparent.
Vous l’écrivez dans Recettes & Récits, la cuisine est une affaire de passeurs et de passeuses. Qui sont les vôtres ?
J’ai constaté, sans que ce soit prémédité, qu’il y a là davantage de femmes que d’hommes. Ce n’est pas un hasard. Ce genre culinaire m’intéresse beaucoup. J’y retrouve la façon dont ma mère et ma grand-mère cuisinaient. Ce sont elles mes deux premières passeuses, mes nourrices, au sens latin du terme. Par la suite, d’autres les ont rejointes, à commencer par Suzy Palatin, aussi à l’aise dans la réalisation d’un bœuf bourguignon, de pâtes à l’italienne ou d’un Tom kha kai, une soupe de lait de coco à la citronnelle et au poulet dont je lui ai emprunté la recette. Et pour cause, je n’en ai jamais mangé d’aussi bon que chez elle. Elle a ce sens de la cuisine, les bonnes intuitions, les bons gestes… Ce n’est pas donné à tout le monde. Je dis souvent de mes modèles qu’elles cuisinent comme elles respirent. C’est son cas, à l’évidence, comme c’est le cas d’Andrée Zana Murat. À côté de ça, je suis aussi très attaché aux plats familiaux de pas mal de chefs copains, comme la tartiflette d’Emmanuel Renaut. Un technicien par excellence, mais qui m’intéresse davantage pour son patrimoine ménager, son jardin secret. Autre exemple typique : le poulet à l’estragon de la mère d’Anne-Sophie Pic, une des recettes de cœur de la cheffe étoilée, longtemps réservée à la sphère privée.
Vous avez pris soin de rendre hommage à chacun de ces modèles, à travers la petite histoire qui se cache derrière la recette que vous leur avez empruntée…
Ces récits me portent autant que les préparations elles-mêmes. Quand je vais dîner chez des amis et que je tombe en arrêt devant un plat, mon premier réflexe est de demander d’où vient cette recette, comment est-elle passée de main en main… C’est ce qui me fait vibrer et quelque part, sans vouloir donner de leçon à personne, me frustre souvent dans les livres de cuisine publiés aujourd’hui : le manque de récit et, au final, l’impression tenace de tenir entre les mains un catalogue de recettes. Au-delà de cette curiosité, citer mes sources me paraissait nécessaire. C’est la moindre des choses. Je souhaitais rendre hommage à celles et ceux qui m’ont nourri.
Ce sont d’ailleurs ces passeurs et ces passeuses qui guident le chapitrage de ce livre, entre legs familial, rencontres lors de vos vagabondages, grands chefs… Là où on aurait pu s’attendre à un ouvrage organisé par saison…
C’est vrai. Il y a un seul répertoire saisonnier que je voulais absolument mettre en avant : celui de l’été. C’est une période où je cuisine énormément, qui plus est pour beaucoup de monde, et, souvent, à l’improviste. Ce qui n’existe pas, dans la vraie vie, le reste du temps. Chaque année, durant 6 semaines, on reçoit de manière un peu débridée, tous les soirs. Là, je me régale.
Nous aussi, à la lecture de ce chapitre. D’autant que vous annoncez la couleur en dernière de couverture : vos recettes sont inratables. Comme cela se fait-il ?
Elles ne tombent pas de nulle part. Je m’y frotte très très souvent. Ces recettes sont rodées, patinées… Comme dirait Alain Passard, j’en ai poli le geste. Pour chacune d’elles, je sais désormais exactement ce à quoi elle doit ressembler à quel moment.
Autre fait touchant, grâce à cet ouvrage, le lecteur est transporté chez vous, véritablement…
J’y tenais. Ce sont ma cuisine, mes cocottes, mes assiettes… qui ont été prises en photos. Il n’y a que très très peu d’ajouts extérieurs. Je voulais transmettre la vérité des préparations telles que je les sers chez moi. Et tant pis si, par exemple, les bords du plat à gratin sont un peu noircis à l’image. C’est comme ça qu’il sort du four à la maison. C’est comme ça que faisaient ma mère et ma grand-mère.
En plus de vos recettes, ce livre présente donc leur histoire, vos petites astuces, mais pas que… Il évoque aussi votre bibliothèque culinaire, votre épicerie du monde, vos huiles et vinaigres, vos couteaux et… vos vins : quel buveur êtes-vous ?
Dans ce domaine, je reste très modeste. Je ne suis pas un spécialiste de la question. J’ai trop de respect pour les grands connaisseurs qui m’entourent, comme Jérôme Gagnez, et qui assurent sur ce point ma formation continue. Résultat ? Je connais mieux le vin qu’il y a quinze ans et sans doute moins que dans quinze années encore. Parce que je me prends au jeu, notamment en rencontrant de plus en plus de vignerons. C’est un point important dans ma façon d’appréhender le vin. De fait, dans la petite sélection réalisée pour ce livre, je n’ai choisi que les cuvées de vignerons et de vigneronnes ami(e)s. J’ai besoin de mettre un visage sur une bouteille. Je bois alors une intention, un paysage…