Rares sont ceux qui savent aussi bien écrire sur le vin et en faire commerce. Indubitablement, cet Anglais est de ceux-là. L’auteur de « Who’s Afraid of Romanée-Conti? », également éditeur du magazine « Nobel Rot » et co-propriétaire de trois restaurants londoniens, de caves ainsi que d’une société d’importation de vins des plus enivrants, sera à l’Athenaeum, le 14 novembre prochain, pour une rencontre & dédicace. D’ici là, en guise d’introduction, il répond à quelques questions…
Comment passe-t-on d’une maison de disque aux vins ?
De 2006 à 2009, alors que j’étais directeur général d’Island Records sur Kensington High St, à Londres, mon ami Nobby tenait la cave à vins située quelques portes plus bas : Roberson Wine. Il y avait là une sélection assez éclectique, des vins « naturels » les plus excitants du moment aux vieux millésimes de vénérables institutions de Bordeaux et de Bourgogne. À l’occasion de leur déménagement, Nobby et sa femme logèrent chez nous quelques semaines et eurent la bonne idée de nous rétribuer en vins. Des bouteilles comme un Lytton Springs de Ridge puis, plus tard, un Pignan de Château Rayas, un Chambolle-Musigny « Les Fuées » de Frédéric Mugnier, un Poulsard d’Overnoy… éveillèrent mon enthousiasme pour le vin. Et, lorsqu’il embaucha un jeune homme appelé Mark Andrew, je trouvais là un sérieux compagnon de soif et… mon futur associé. Dans le sous-sol du magasin, Mark organisait des verticales de domaines cultes comme Chave, Coche-Dury ou encore Grange des Pères. Nous sommes très vite devenus les meilleurs amis du monde, avant de publier le premier numéro du magazine « Noble Rot » au début de l’année 2013. L’idée était d’écrire sur le vin, en lien avec la nourriture, la culture populaire…, et avec un sens de l’humour qui manquait depuis longtemps.
Compareriez-vous la musique au vin ?
Suite à ma reconversion, on me demande parfois si mon travail d’avant me manque. Ce n’est pas le cas. Pas une minute. Musique et vin ont beaucoup trop en commun. Déguster un bon millésime, comme écouter une chanson entraînante, déclenche une petite musique dans ma tête. Des images me viennent à l’esprit. De sorte que trouver un artiste à signer ou un vigneron à représenter via notre société d’importation Keeling Andrew participe du même procédé. Non, je n’ai absolument pas l’impression d’avoir quitté le monde de la musique.
Bien avant ce livre, comme vous l’écrivez dans son introduction, « Noble Rot » est né d’une soif d’émotions plus que de connaissances…
J’adore apprendre sur le vin et « Who’s Afraid of Romanée-Conti? » apporte de nombreux enseignements sur des vignerons et des régions méritants. Mais, si j’ai appris quelque chose ces dernières années, c’est que, plus on se penche sur ce mystérieux puzzle qu’est le vin, plus on doit accepter l’absence de certitudes. Comme dans la vie de tous les jours… Le poète John Keats parlait, lui, de « capacité négative », c’est-à-dire cette aptitude à se satisfaire pleinement d’expériences inspirantes sans savoir les expliquer. Vous n’avez pas besoin de comprendre par la science le phénomène du coucher de soleil pour vous émerveiller devant sa beauté ? Pareil avec ce livre. Il traite davantage des ressentis que vous pouvez avoir en dégustant un grand vin, plutôt que de l’analyse de ce breuvage intrinsèquement impénétrable.
Pour autant, toujours dans l’introduction de votre livre, vous parlez de la nécessité de savoir « écouter le vin » : que voulez-vous dire ?
La plupart des vins que j’affectionne ne sont pas « bruyants », il faut donc être prêt à les « écouter ». Ils n’ont pas de petit « plus », d’« extra ». Au contraire, leur magie réside dans leur complétude, leur harmonie. Après avoir bu de nombreux millésimes de Romanée-Conti au domaine, à l’occasion d’une rétrospective Richard Olney dont je parle dans le livre, je me suis demandé combien de milliardaires avaient acheté l’une de ces bouteilles et s’étaient interrogés, un tant soit peu, sur leur alchimie : en quoi méritaient-elles tant de superlatifs ? Il ne sert à rien d’ouvrir de tels vins, aussi profonds, subtils et maîtrisés, si l’on n’est pas prêt à les écouter attentivement. En revanche, vous pouvez déguster un simple vinho verde sans trop réfléchir.
Pourquoi les vins vivants ont-ils vos faveurs ?
Produits en petites quantités par des rêveurs exigeants, je les préfère aux milliards de vins morts fabriqués industriellement. Les vins vivants sont, par essence, pleins de vie : ils n’ont pas subi de traitements agressifs et on les a laissés devenir ce qu’ils sont. Les vins industriels, eux, ne sont que compromis et profits. Ils se révèlent aussi aseptisés qu’une pinte de lait UHT. À l’instar des êtres humains, les vins vivants sont capables d’atteindre des sommets exaltants, mais peuvent aussi avoir des « jours » sans, voire des années. Certains démarrent maladroitement et s’épanouissent des décennies plus tard ; d’autres brillent de mille feux, avant de s’éteindre tout aussi brutalement. Ils reflètent au fond la nature mystérieuse de notre propre existence. C’est pour ça que je les aime tant.
Comment est née l’idée de ce livre ?
La plupart des gens sont tellement intimidés par les vins fins qu’ils renoncent à s’y intéresser. Moi, j’ai voulu les y aider, les prendre par la main sur les chemins de traverse des bons vins, des productions bon marché aux cuvées les plus célèbres du monde, en passant par tout ce qui se trouve entre les deux. Je voulais que cet ouvrage soit beau, qu’il permette aux lecteurs de partir à la rencontre des vignerons et de leur environnement – puisque la plupart d’entre eux n’auront jamais l’occasion de le faire -, tout en racontant ce qui les rend si spéciaux. Le photographe avec lequel j’ai collaboré, Ben McMahon, et les graphistes Matt Willey et Jonny Sikov, de Pentagram New York, y ont contribué. Ils comptent parmi les meilleurs dans leur domaine. Je suis très fier de l’aspect et de l’atmosphère de ce livre.
Vous ouvrez « Who’s Afraid of Romanée-Conti? » sur l’Alsace et ses rieslings. Jean-Louis Trapet nous a récemment fait part de son amour pour ce cépage. Il en est donc de même pour vous ?
J’adore ce cépage, mais, à dire vrai, je bois sans doute beaucoup plus de chardonnay et de chenin blanc. Je sais que certains amateurs considèrent le riesling comme le meilleur raisin blanc au monde – ce que les vins de Klaus Peter Keller défendent très bien -. Reste que, pour moi, un grand chablis ou un meursault n’a pas d’égal.
La Bourgogne, justement, est bien représentée dans votre livre : quel regard portez-vous sur ce vignoble et ses vignerons ?
La Bourgogne se mue. Et pourtant, une constante demeure : lorsqu’elle est à son meilleur, rien ne lui est comparable. Pour autant, pendant le confinement, la hausse des prix sur le marché « secondaire » a failli rendre inabordable la crème des vins bourguignons. Depuis, diverses mesures ont permis de corriger le tir. C’est une bonne chose. Le seul point noir, à mes yeux, des vins fins est leur inaccessibilité : les barrières à l’entrée sont souvent trop élevées. Il est donc réconfortant de voir un grand nombre de viticulteurs comme Camille Thiriet, Les Horées ou encore David Croix rencontrer un tel succès dans des terroirs moins célèbres et donc plus accessibles.
Les vins du Nouveau Monde, en revanche, n’ont pas eu droit au chapitre : pourquoi ce choix ?
J’habite Londres : les grandes régions viticoles européennes sont donc facilement à ma portée. Si j’apprécie beaucoup les vins californiens, sud-africains et australiens, avec nos restaurants, nos caves, notre entreprise d’importation et notre magazine – et surtout ma famille ! -, je n’ai pas eu le temps de les explorer suffisamment.
Et l’Angleterre dans tout ça : nombreux sont ceux qui promettent un avenir radieux à ses vignobles. Qu’en pensez-vous, en toute objectivité bien sûr… ?
Les bulles anglaises ont parcouru un long chemin, en peu de temps. En la matière, il existe désormais de nombreux producteurs passionnants comme Langham, Breaky Bottom et Hugo. En revanche, je n’ai pas encore bu de vins tranquilles de chez nous qui empêcheraient les meilleurs vignerons français de dormir. Cela pourrait s’expliquer par le fait que votre vignoble perdure depuis des siècles, alors qu’en Angleterre, il est relativement récent. Peut-être notre propre montrachet se trouve-t-il sous le parking de Sainsbury’s à Brighton ? Mais, gare : une fois que nous aurons identifié les bons terroirs, le potentiel sera énorme.