Après sa bande dessinée La dernière reine, en cours d’adaptation cinématographique, ce féru de montagne signe un premier roman, Au cœur de l’hiver. Le récit, en pleine pandémie de Covid-19, de son départ de Paris, avec sa compagne Christine Cam, pour un long hivernage, dans leur chalet du hameau des Étages, en plein massif des Écrins, à 1.600 mètres d’altitude, coupés du monde…
Pourquoi avoir décidé de vous lancer dans l’écriture? Cela répondait à une nécessité ? À une envie de longue date ?… Est-ce lié à votre décision d’abandonner le roman graphique, comme vous l’écrivez dans Au cœur de l’hiver ?
J’ai tout mis dans La dernière reine. J’en suis sorti très fatigué, avec l’impression d’avoir fait le tour de ce que j’avais à dire dans ce genre-là, de ne plus avoir rien à ajouter… Reste que j’aime raconter des histoires. Très psychologique et descriptive, celle de ce huis clos en montagne ne ferait pas une bonne bande dessinée. J’en étais persuadé. Elle se prêtait davantage à l’écriture, à sa force. Donc, je me suis lancé, avec un postulat de départ : si jamais l’exercice s’avérait trop difficile, j’abandonnerais. En trois mois, ceux de l’hiver 2023, le livre était écrit.
Pour autant, quelques aquarelles rythment çà et là ce premier roman…
C’est un classique que d’ajouter des dessins aux textes. Avant, cela se faisait très couramment. Paolo Cognetti, pour Les huit montagnes, avait renoué avec cet usage. J’avais trouvé ça plaisant. Et, puisque je dessine moi-même, j’aurais eu tort de me priver.
Le Covid-19 n’explique pas à lui seul votre départ. Les raisons sont plus profondes… Vous décrivez une vie d’artiste, généralement, pleine de déceptions, qui, dans votre cas, « n’a été jusqu’à aujourd’hui qu’une longue résistance ». En quoi cet environnement des Étages vous remet-il « dans votre axe » ?
Pourquoi Jean Giono est-il tant attaché à Manosque ou Paul Cézanne à la Sainte-Victoire ? Difficile à dire… À 1.600 mètres d’altitude, au cœur du massif des Écrins, vous êtes en pleine réserve naturelle, donc à côté de la société contemporaine, en particulier en hiver – mais, même en été -. La ville, je l’ai bien connue, 20 ans à Paris et 10 ans à Berlin, avec une sensation permanente de manque… Les Étages, c’est mon lieu, mon biotope. Tout me parle ici. Sans doute parce que c’est là que j’ai grandi, là que je suis passé de l’enfance à l’âge adulte. Ça doit marquer…
Pas de méprise : Au cœur de l’hiver n’est pas une autobiographie. Vous livrez certes des éléments de votre vie mais, aussi et surtout, bon nombre de descriptions de la nature qui vous entoure. Contempler fait partie de ce recentrage sur l’essentiel qu’induit votre emménagement aux Étages ?
Oui, bien sûr. En même temps, la contemplation m’a toujours accompagné depuis que je peins. Il s’agit d’un travail de regard sur l’extérieur, non ? Pas vraiment de surprise donc de ce côté-là. En revanche, j’ai été étonné de constater à quel point la peinture, voire la bande dessinée, ont irrigué mon écriture et combien cette dernière se révèle riche à l’heure de décrire un paysage. Jusqu’à ce que j’écrive ce livre, j’étais convaincu de la primature de la peinture sur l’écriture dans ce domaine. C’est nettement moins le cas aujourd’hui. Ces deux modes d’expression se répondent et se renforcent. Les peintres chinois par exemple accompagnent systématiquement leur création d’une poésie…
Outre la contemplation, une autre activité, beaucoup plus terre à terre elle, rythme le récit de votre hivernage : la cuisine. C’est toute une organisation dans ces conditions…
Effectivement, à commencer par la mise en place du garde-manger. Comme pour la cale d’un bateau avant une longue traversée. Les repas eux-mêmes importent tout autant. Ce sont des vrais moments de bonheur dans un milieu aussi austère que celui des Étages, à condition de veiller à varier les plaisirs. Donc oui, c’est du travail.
Vous avez pris le parti de confier ce livre à la maison d’édition que vous avez créée. Pourquoi ce choix ?
C’est Christine Cam, ma compagne, qui est à l’initiative des Étages Éditions. Certes, pour l’instant, elle a surtout publié mes ouvrages, mais son catalogue s’étoffe. En lui confiant Au cœur de l’hiver, j’ai choisi l’autonomie. Cela me permet d’avoir la main mise sur la couverture, la date de sortie… Je gagne en liberté, je n’ai de compte à rendre à personne, comme pour la galerie d’art que nous venons d’ouvrir à Grenoble, et je reste ainsi en droite ligne avec la vie que je mène an altitude.
Rétrospectivement, diriez-vous que l’écriture de ce premier livre a été plaisante ?
Tout le monde ne le sait pas, mais j’ai eu une scolarité difficile : j’étais très dyslexique. Au point de nourrir un certain complexe vis-à-vis à l’écriture. Cela explique le recours, un temps, à des scénaristes, avant que j’accepte de m’y mettre, à mon tour, avec, contre toute attente, de l’aisance. À ma grande surprise, je pense même avoir plus de facilité à écrire qu’à créer des bandes dessinées. La première tâche est, à mes yeux, très solaire et poétique, la seconde nettement plus besogneuse. Au cœur de l’hiver m’a donc apporté beaucoup de plaisir, oui. Ce fut une très belle expérience que je vais peut-être renouveler…