En 2019, ce fils de vigneron de Chavot-Courcourt reprenait la direction de la coopérative du village qui l’a vu grandir. Trois millésimes plus tard, le succès est là, indéniablement. Retour avec lui sur cette réussite, fruit d’une approche atypique.
Vous n’avez pas toujours voulu être œnologue, non ?
Effectivement. Si, quand j’étais petit, les gens d’ici n’arrêtaient pas de dire : « l’avenir de la coopérative, ce sera Fabian », moi, de mon côté, j’étais loin d’en être convaincu. Très loin, même. Dès que je faisais des bêtises, mes parents m’envoyaient à la vigne. C’était la punition. Dans ces conditions, je me suis vite imaginé un autre destin. Je me voyais chercheur en biologie. J’ai donc suivi des études en ce sens. Et puis, après la licence, mon histoire m’a rattrapé. J’ai pris la peine de reconsidérer le métier d’œnologue. À mi-chemin entre la science et le vin, il me convenait en fait parfaitement. J’ai changé de voie. Je me suis lancé.
Quelles ont été vos premières expériences ?
Dès 2008, pendant 4 ans, j’ai essayé de faire des vins tranquilles dans les caves de mes parents, avec leurs surplus de raisins ou ceux des copains. Ils étaient… dégueulasses. Peu importe : vinifier sans intrant me portait déjà. C’était déjà le but du jeu à mes yeux. Du coup, je me replongeais dans mes cours. Soyons francs : je ne les avais pas lus. Étudiant, on fait la fête, on déguste, on rigole, mais bon… Donc, je potassais, je dévorais les Ribéreau-Gayon et autres classiques de l’œnologie moderne pour, au bout du bout, avoir l’impression de comprendre pas mal de choses. Il me restait à les mettre en application. À l’étranger, les jeunes en formation ont souvent la possibilité de réaliser leurs propres micro-cuvées pour apprendre le métier. C’est ce que j’ai fait, en Afrique du Sud et en Nouvelle-Zélande, chez des « petits vignerons » locaux. Sans intrant, mes vins étaient plutôt bons. Ils tenaient dans le temps. Ça me confortait dans mes convictions. En 2014, je rentrais en France, pour un poste à responsabilités dans une maison de champagne qui produisait alors plus de 2 millions de cols chaque année. Après 4 ans de discussions, j’obtenais le droit de vinifier à ma façon l’équivalent de 20.000 bouteilles, sans sulfite toujours. J’étais aux anges…
Et la coopérative dans tout ça ?
C’est là, fin 2018, qu’elle me contactait pour la rejoindre. Elle était alors dans une mauvaise passe. Oublié l’âge d’or des années 2000, ses 90 hectares de vignoble, ses 400.000 bouteilles par an produites pour les adhérents et autant pour les maisons de champagne. À cause de la mise en place de nouvelles subventions, de nombreux adhérents quittaient la coopérative pour s’établir à leur compte. Nous étions dans le rouge…
Quelles solutions proposiez-vous ?
La stratégie menée ces dernières années était un échec. Il fallait l’accepter, tourner la page et, donc, sortir de notre zone de confort. Créer une marque forte, susceptible de gagner de l’argent, nous paraissait être la bonne voie. Pour cela, nous disposions déjà du nom Chavost, celui de notre village au Moyen Âge, sous lequel la coopérative commercialisait 3 à 4.000 bouteilles chaque année, depuis 2016. Surtout, nous possédions 5 hectares de vignes. Ce n’est pas rien… Je proposais de les rejoindre, à condition de passer ce vignoble en bio, de vinifier sans sulfite de A à Z, de ne pas utiliser de vins de réserve – je voulais travailler des millésimes purs –, d’avoir des passages en cave courts – pas plus de 2 ans – pour rester sur des arômes primaires et d’interdire tout dosage au moment du dégorgement. Il faut être cohérent : on ne peut pas, en fin de cycle, après avoir banni tout intrant, introduire du sucre pour plus de gourmandise…
Des partis pris forts, jusque dans l’étiquette…
Là encore, c’est une question de cohérence. Ma volonté n’est pas de casser les codes, je ne suis pas un punk, mais, simplement, de tenir nos engagements. À quoi ça rime de nous donner autant de mal, d’adopter des partis pris aussi forts, pour finalement afficher la même étiquette que tout le monde ?! Ça n’a pas sens. Avec mon frère, qui a toujours dessiné, on a donc imaginé ces représentations, façon BD, de notre coopérative et de son collectif pour chacune de nos cuvées, de notre Blanc Assemblage à notre Blanc de Chardonnay ou de Meunier, en passant par notre Rosé de Saignée ou encore nos coteaux-champenois.
Toutes vos cuvées sont issues des 5 hectares de vignes cultivés en bio ?
Non. Grâce à ces parcelles, nous produisons en moyenne 30.000 bouteilles par an. Ce n’est pas assez au regard de la demande. Pour satisfaire tout le monde et éviter en plus les risques de spéculation, nous avons donc décidé de créer une cuvée d’entrée de gamme, vinifiée avec les mêmes exigences que nos champagnes bio, mais à partir, cette fois, de raisins non bios, sélectionnés chez nos adhérents. De sorte que, sur les 55 hectares que réunit la coopérative aujourd’hui, 5, en bio, sont destinés à nos vins, 10 permettent de produire ce Blanc Assemblage, 10 autres encore sont vinifiés pour le compte de nos adhérents et les 30 restants pour celui de maisons de champagne.
Qu’est-ce que le sans sulfite vous apporte ?
Des problèmes, à l’évidence (rires). Ce n’est pas un long fleuve tranquille que de vinifier de la sorte. On se fait beaucoup de frayeurs, des petites nuits çà et là… Il arrive que, malgré tous nos efforts, la cuvée espérée ne soit pas au rendez-vous. À l’inverse, lorsqu’elle répond à nos attentes, quelle satisfaction ! D’autant que, quand le vin est réussi sans sulfite, il présente tellement plus de caudalie. Il explose au nez.
Et demain ?
Dans quelques semaines, je mettrai en bouteille une toute nouvelle cuvée de champagne vinifiée, elle, avec les vins de réserve élaborés depuis mon arrivée. Un moyen de montrer que la coopérative sait aussi travailler sur le temps long. Et puis, on arrive à une période charnière. Pas mal de nos adhérents partent à la retraite. S’ils n’ont pas de repreneurs, nous leur proposons de mettre leurs vignes à notre disposition, moyennant un bail de 10 ou 20 ans, à condition qu’ils acceptent que nous convertissions leurs parcelles, de façon à pouvoir produire davantage de cuvées bio. S’ils ont des repreneurs, leurs raisins alimenteront, suivant leur qualité, soit notre Blanc Assemblage, soit les vins de nos adhérents ou des maisons de champagne…