Depuis 2018, le co-fondateur, entre autres, des magasins Eataly a confié à ses filles son « jeune » domaine du Barolo. Elles le dirigent désormais en toute liberté, sans œillères, mais dans le respect des traditions locales. Résultat ? Des vins qui, tout en respectant les canons du vignoble, témoignent d’une fraîcheur et d’une délicatesse touchantes. Explications…
Dès 2008, votre père a entrepris de convertir en bio le domaine du Piémont qu’il venait d’acquérir : pourquoi un tel parti pris ? Ce n’était pas vraiment la façon de faire dans le Barolo…
Non. Il y a 16 ans, l’agriculture biologique n’était pas très « populaire » dans la région. Mais qu’importe, mon père tenait à s’engager dans une démarche qui fasse sens. Il portait une vision : Serena et moi devions pouvoir évoluer dans un environnement sain. Et puis, au-delà de notre cas, il était convaincu de l’extrême qualité de ce terroir. Montrer aux yeux de tous son potentiel imposait de le travailler avec le plus grand respect pour lui permettre de s’exprimer pleinement.
Au début des années 2010, vous rejoigniez l’une puis l’autre l’Agricola Brandini…
Ce choix s’est fait totalement librement. Nous avons eu la chance, toutes les deux, d’étudier, de voyager… pour finalement nous rendre compte que l’appel du domaine était trop fort. Petit à petit, nous tombions amoureuses de ces vignes, de la viticulture, du travail au chai…, au point de décider chacune d’en faire notre métier et même notre quotidien.
À peine quelques années plus tard, votre père vous confiait les rênes du domaine. Là encore, ce n’était pas l’usage, non ?
Effectivement. Notre père a toujours été un homme d’affaires de son temps, éclairé et très indépendant. S’il continue aujourd’hui de nous épauler, nous portons toute la responsabilité de la conduite de l’Agricola Brandini et jouissons d’une liberté totale dans la création de nos vins.
Justement, comment vous répartissez-vous les tâches entre vous ?
Toutes les décisions relatives à la viti- et à la viniculture sont prises de concert, en pleine saison. En dehors, je gère les ventes et la promotion, au gré de nombreux voyages, tandis que Serena, elle, gère la production.
Le respect de la nature s’inscrit dans votre ADN : comment cela se traduit-il concrètement dans les vignes et au chai ? Quelles pratiques vertueuses aves-vous mises en place ?
Tout en produisant des baies et des vins de la meilleur qualité possible, nous veillons à limiter au maximum notre impact sur Dame Nature. Du côté de la vigne, cela signifie de bannir les traitements nocifs et de privilégier les techniques qui favorisent la biodiversité et l’enrichissement des sols, comme par exemple les cultures de couvertures tel l’enherbement, le refus du labourage compte tenu de sa lourde empreinte carbone et des risques qu’il fait encourir aux racines des pieds de vigne… Autant de pratiques qui permettent de disposer de raisins sains et donc, au chai, d’intervenir au minimum : des fermentations spontanées et, pour le reste, nous nous cantonnons à des méthodes traditionnelles. Le tout en étant 100% indépendantes sur le plan énergétique grâce à nos panneaux solaires.
Votre approche contraste avec les usages du Barolo. Pourtant, vous venez de le dire, les traditions continuent de vous guider. De quelles façons ?
Honorer le style et le travail des vignerons qui nous ont précédées s’impose. C’est crucial. Pour autant, nous sommes de notre temps, ouvertes aux nouvelles techniques qui permettraient de nous améliorer de manière à laisser aux générations futures un meilleur environnement.
Les changements climatiques ne compliquent-ils pas la donne ?
Oui et non. D’un côté, ils nous confortent dans notre parti pris de rester à l’écoute de la nature, de manière à être pro-actifs. De l’autre, cela demande toujours plus de souplesse. Je pense en particulier aux fameuses « 4 saisons » du Piémont : des printemps doux et humides, des étés courts et chauds, des automnes brumeux et des hivers très enneigés. Les changements climatiques ont fortement perturbé ces cycles. Nous devons en permanence adapter notre travail dans le vignoble pour survivre aux vagues de chaleur, aux sécheresses, aux tempêtes… Aujourd’hui, nous sommes convaincues de la force et de la résilience de nos vignes. Tant que nous continuerons à veiller sur elles, elles produiront des vins équilibrés, aux plaisirs plus immédiats.
Dans cette quête, la situation de vos parcelles entre 350 et 500 mètres d’altitude constitue un avantage certain…
Bien sûr. Mais, c’est un pur hasard. Une conséquence du réchauffement climatique. Désormais, tout le monde cherche à s’installer de plus en plus haut, pour gagner en fraîcheur. Alors qu’il y a 16 ans encore, lorsque mon père se portait acquéreur de l’Agricola Brandini, ce vignoble et, de manière plus générale, toute la partie occidentale de La Morra étaient plutôt mal considérés, en raison justement de leur altitude élevée et de leur exposition vers les Alpes.
De fait, les spécialistes apprécient la fraîcheur, l’élégance, voire la joie, qui se dégagent de vos vins, dès leur plus jeune âge. Est-ce cela le « style Brandini » ?
Oui, je le définirais volontiers ainsi. Nous cherchons effectivement à produire des vins d’une grande élégance, d’une grande finesse, avec une belle vivacité et du relief.
Aujourd’hui, vous produisez du Barolo bien sûr, mais aussi du Dolcetto d’Alba, du Barbera d’Alba, des Langhe et même du Moscato, des Alta Langa… Cette diversité vous la recherchez ? Est-ce simplement le reflet d’un terroir très diversifié ? Les deux ?
Nous nous concentrons et nous nous concentrerons toujours sur le nebbiolo, mais notre région est extrêmement riche en variétés de cépage étonnantes qui complètent le tableau et se révèlent agréables à boire. Alors, pourquoi pas ne pas les travailler à leur tour ?!