Cela fait plus de 20 ans maintenant que ce Bourguignon élève, cueille, récolte et mitonne dans sa ferme-auberge de Bligny-sur-Ouche. Avec Jacky Durand, reporter et chroniqueur culinaire pour Libération, il signe La ferme de la Ruchotte. Interview en guise d’amuse-bouche, avant une venue à l’Athenaeum le 9 mars prochain.
En 2013, vous signiez un premier livre sur la Ruchotte. Pourquoi un nouvel opus aujourd’hui ?
Je n’ai jamais eu la main sur la finalisation de cet ouvrage édité par un grand groupe. Ça m’a beaucoup frustré. Même s’il s’est bien vendu, je ne me reconnaissais pas dedans. Je me suis donc tourné vers une maison d’édition plus petite par la taille et totalement centrée sur la cuisine et l’art : Les éditions de l’épure. Lorsque Sabine Bucquet-Grenet, sa fondatrice, et moi avons décidé de réaliser ce nouveau livre, elle m’a suggéré de travailler avec Jacky Durand, un de mes amis de longue date. Et voilà…
Il ne s’agit pas que d’un livre de cuisine. À travers divers entretiens étalés sur huit années, une première partie explique votre démarche de fermier-cuisinier. Comment vous est venue cette envie ?
C’est un tout, un ensemble de rencontres, de circonstances, d’avancements dans la vie. Au début des années 1990, mon passage chez Alain Chapel, quelques mois après sa mort, m’a marqué. J’ai eu une révélation. J’avais trouvé ma voie : les fourneaux. Ensuite, le décès de mon père en 1999 m’a beaucoup chamboulé. Je voulais redonner davantage de sens à ma vie. Je travaillais alors dans un restaurant en quête d’une première étoile Michelin. Mais, était-ce cela au fond que je recherchais vraiment ? Non. Une chose en amenant une autre, j’ai fini par acheter cette Ruchotte, sans trop savoir, à dire vrai, ce que j’en ferai…
Les premières années sont d’ailleurs difficiles. « Il a fallu que l’endroit nous accepte », racontez-vous. Que voulez-vous dire ?
Le lieu est très ancien. Des écrits datés de 1290 le mentionnent déjà. Les saisons y sont rudes. Il y a plus de 20 ans maintenant, les hivers étaient très froids, les étés chauds. Il n’y avait pas d’eau courante lorsque nous nous sommes installés là. Et puis, je ne connaissais rien à l’agriculture, encore moins à l’élevage de volailles. Il a fallu que je me plie à toutes les exigences de la nature qui m’entoure. Et non l’inverse. On ne peut pas décider de planter des carottes maintenant, à tel endroit, et s’étonner qu’elles ne poussent pas. Ça ne marche pas comme ça. Plus d’humilité s’impose. Il convient de rester à l’écoute, d’observer, d’accepter les échecs pour en tirer les leçons et avancer.
Justement, « avancer » c’est aussi cuisiner. Dans ce domaine, la nature donne le la ?
Complètement. Mon travail, je ne le conçois que comme ça. En accord avec les saisons. Au printemps par exemple, j’ai naturellement envie d’emmener ma cuisine vers du végétal. Et puis, à l’instant t, j’élabore mes recettes avec ce que la nature me donne.
En plus de ce que la nature vous offre, le registre bourgeois influence également votre cuisine. Comment conciliez-vous l’un avec l’autre ?
La cuisine bourgeoise est une étiquette que l’on m’a collée. Il est devenu difficile de s’en défaire. À mes yeux, le terme est justifié s’il fait référence à des répertoires comme ceux de Brillat-Savarin, à cette cuisine du XIXe siècle extrêmement riche certes, mais inconditionnellement liée à la nature.
De ce point de vue, le vol-au-vent, un de vos plats phares, se pose là. Vous êtes en plein dedans en ce moment. Qu’est-ce qui vous porte tant dans cette recette ?
Effectivement, notre « vol-au-vent de grande cuisine bourgeoise » se prépare, pour la semaine prochaine. On en discutait avec les équipes. Ce qui nous intéresse dans ce plat, c’est justement la possibilité de le réactualiser au gré de ce que la nature nous offre. Rien ne nous oblige à respecter à la lettre la recette livrée par Brillat-Savarin dans sa Physiologie du goût. D’autant qu’il faudrait alors facturer la portion de 400 à 500 €, tant il usait de truffes et autres produits de luxe désormais, dans des quantités astronomiques. Non, dans quelques jours, nous devrions avoir les premières asperges. Si c’est le cas, j’en mettrais. Je disposerai aussi des dernières truffes, comme des derniers légumes racines d’hiver avec lesquels je ferai un bouillon. Les classiques, la quenelle, les ris de veau, le rognon…, eux, demeurent. Sinon, les clients me tomberaient dessus !
Quels regards portez-vous sur la cuisine d’aujourd’hui ?
Elle a beaucoup bougé. Je la trouve en bien meilleure posture qu’il y a dix ans. De plus en plus de jeunes chefs mesurent toute l’importance de ce lien avec la nature et l’entretiennent, avec la plus grande sincérité. À l’inverse de ceux qui, dans une démarche uniquement marketing, disent travailler des produits bio ou cultiver leurs propres jardins… Ça ne peut pas marcher. Ce n’est pas assumé. Au niveau des énergies, on n’y est pas. Oui, la cuisine se fait avec des produits, des techniques, mais aussi, et surtout, avec son cœur, son ressenti, porté que l’on est par le souvenir ému de tel ou tel plat mitonné par sa mère, sa grand-mère…
En l’occurrence, quelle est votre madeleine de Proust ?
Les repas du dimanche, chez mes grands-parents, autour d’un persillé, des escargots qu’ils ramassaient, d’un coq au vin… Ces souvenirs me guident vers une cuisine davantage d’émotions que bourgeoise ou autres. C’est là que j’ai envie d’emmener nos clients : dans leur enfance, une période généralement de bien-être profond.
Et le vin dans tout ça ?
À la Ruchotte, on privilégie les vins nature, élaborés à 90% en Bourgogne, dans le plus grand respect de leur environnement. Je suis un amoureux de Jean-Marc Roulot, Rougeot, Marchand-Grillot, Capitain-Gagnerot, Perrin… Ces domaines me font rêver.