Le 23 avril 2008, ce producteur de vins d’exception en Côte de Nuits apprend qu’une maison de ventes new-yorkaise, bien établie, met aux enchères des bouteilles de son domaine, dont le millésime… n’existe pas. Tel est le point de départ de l’enquête menée par ses soins sur une arnaque à plusieurs dizaines de millions de dollars derrière laquelle se cache un soi-disant dégustateur de génie, Rudy Kurniawan, dit Dr Conti…
Votre livre relate vos investigations sur les contrefaçons de vins : avez-vous aujourd’hui une idée de l’ampleur de ce marché dans le monde ?
Force est de constater qu’il a été fortement ébranlé par l’affaire Rudy Kurniawan. L’arrestation de ce faussaire en 2012 fait beaucoup de bruits, en particulier dans les pays anglosaxons et asiatiques. Les 10 ans de prison qu’il prend mettent fin aux velléités des uns et des autres de contrefaire à leur tour du vin. Car, jusque-là, les risques encourus étaient faibles. En tout cas, pas d’incarcération. Maintenant, soyons francs : certains, appâtés par le gain, continuent çà et là d’enfreindre la loi, mais sur une toute petite échelle.
C’est la première fois, en 2008, que vous êtes confronté à ce type de méfait ?
Non. Au milieu des années 1990, à Kuala Lumpur, dans une boutique, j’étais tombé sur une bouteille du Domaine Ponsot manifestement contrefaite. Je soupçonne que son patron avait lui-même commis cette exaction. Cela m’avait fait plutôt sourire, tout en étant conscient de la gravité de la situation. Par la suite, il m’était arrivé sporadiquement de trouver d’autres contrefaçons de ce type.
Pourquoi cette fois vous décidez de ne pas en « sourire » justement ?
Il est tellement compliqué pour nous de produire du vin. Une véritable passion habite les vignerons. Ils y consacrent leur vie entière. Et voilà qu’en une heure de temps, quelqu’un se permet de falsifier une bouteille pour la revendre 10.000€ voire 50.000€, flouant ainsi l’acheteur, bien sûr ; mais surtout les fondements mêmes du vin. Comme je l’ai écrit, il ne s’agit pas là uniquement d’une boisson. C’est une passerelle entre les hommes, en ce sens qu’elle invite aux partages. Je n’ai pas supporté l’idée que certains salissent cet « esprit du vin », encore plus pour de l’argent.
Dans un premier temps, vous pensez qu’il s’agit d’une simple erreur de la maison de ventes. C’est fréquent ?
Comme je le dis souvent « un expert est quelqu’un qui sait se tromper avec autorité ». Car, quelles réelles compétences ont ces employés de maison de ventes pour juger de l’authenticité d’une bouteille mise aux enchères ? Si certains sont à l’évidence chevronnés, ils ne peuvent pas non plus avoir la science infuse ! Comment voulez-vous qu’ils garantissent la provenance de leurs lots compte tenu des milliers d’enchères qui se font chaque année et des millions de producteurs existants sur la planète ? Donc, oui, ce type d’erreur arrive. C’est d’ailleurs pour cela que je suis opposé à la mise aux enchères des vins dans ces maisons. À mes yeux, les ventes doivent avoir lieu directement chez le vigneron ou auprès de cavistes sérieux, comme l’Athenaeum. La preuve…
Et là, vous décidez d’enquêter vous-même. Qu’est-ce qui vous prend ? Vous êtes aventureux dans la vie ? Vous n’avez jamais eu peur durant vos investigations ?
Non, jamais. J’ai douté bien sûr, me disant parfois « mais, qu’est-ce que tu fais là ? »… C’est vrai. Reste que je dois être un peu fleur bleue. J’ai été hippie plus jeune. Je n’aime pas l’injustice, je n’aime pas que certaines personnes en flouent d’autres et, ce faisant, trahissent des idées, des principes, qui me sont chers. C’est donc tout naturellement que j’ai eu envie d’agir.
Plus de 6 années sont nécessaires à la condamnation de Rudy Kurniawan. Comment expliquez-vous cette lenteur ?
Cette « lenteur » tient principalement au fait qu’enquêter n’est pas mon métier. J’ai d’autres choses à faire à l’époque, j’ai un domaine à gérer. Et puis, initialement, il ne s’agit que de la contrefaçon d’une centaine de bouteilles du Domaine Ponsot. Rien à voir avec le marché des faux sacs Louis Vuitton ou des fausses Rolex. Je n’intéresse personne. Par la suite, lorsque le FBI vient frapper à ma porte, je réalise toute la minutie du travail de ses agents. Les evidences, comme ils disent, sont vérifiées encore et encore. Aucun impair n’est envisageable. Tout cela demande du temps, effectivement.
Avec le recul, comment expliquez-vous la facilité déconcertante avec laquelle cette supercherie se met en place et perdure ; et ce, auprès d’amateurs et de connaisseurs avertis ?
Je vois deux explications à cela. La première est que, en présence de grands dégustateurs, le fameux Rudy Kurniawan sort de vraies bouteilles. Il m’a par exemple servi un La Tâche, 1955, dont j’ai encore quelques larmes au coin de l’œil en y repensant. La seconde est qu’il se nourrit à ces occasions des commentaires de ces connaisseurs pour, plus tard, aller faire le show à Hollywood, là où il a principalement sévi, auprès cette fois de très riches adolescents américains naïfs et totalement amateurs, eux.
Cette longue enquête a-t-elle laissé des traces ?
J’ai cette faculté de ne garder que les bons moments de mes mésaventures. C’est mon tempérament. Aujourd’hui, par exemple, je ne souviens pas avoir souffert après le très grave accident que j’ai eu il y a des années. Dans le cas précis de cette enquête, il en est surtout resté un idéal. Celui d’un monde où le vin ne serait acheté que pour être bu. Loin de toute spéculation donc. Dans cette quête, je ne peux que déplorer l’explosion des tarifs des vins de Bourgogne à des niveaux totalement insensés et qui, malgré mes convictions, impacte mon activité de négoce. Rendez-vous compte : le prix de nos matières premières a cru de 44% en 4 ans. Résultat ? Une bouteille qui part de notre cave à 200€ est très vite revendue 1.000 à 1.500€…