Les Chartreuse
À l’origine de ces célèbres liqueurs à base de plantes et d’épices, un élixir de longue vie élaboré au XVIIIe siècle par les moines chartreux. Depuis, même le temps n’y a rien fait : la congrégation reste l’unique détentrice des formules maison. Au-delà de ces secrets, de la retenue, à l’opposé d’un consumérisme à tout crin… Explications.
Des recettes confidentielles
Depuis la création de l’Élixir Végétal de la Grande Chartreuse en 1764, suivie près d’un siècle plus tard de celle des Chartreuse Verte et Jaune, les moines veillent aux grains, à l’abri des regard. Seuls eux supervisent au monastère la réception des 130 plantes et épices requises, avant de réaliser les mélanges destinés à la distillation, à la macération ou à l’infusion à froid. À Aiguenoire, sur le nouveau site de production de Chartreuse Diffusion inauguré en 2018, trois semaines sont nécessaires pour traiter ces lots gravitairement. Charge alors aux frères de les assembler, en y ajoutant eau osmosée et sucre de canne, dans des proportions tenues secrètes. Le vieillissement peut alors commencer. La cave s’organise autour de deux atmosphères – l’une humide, l’autre sèche – et de plusieurs contenances de foudre. Selon des laps de temps confidentiels, chaque série de 420 hl de liqueur vieillit d’une ambiance à l’autre, en fût(s) de 500 hl, puis de 250 hl et enfin de 125 hl. Au terme de ces périodes de micro-oxygénation, la complexité aromatique se révèle tandis que la force de l’alcool s’apaise. Et là, rebelote : les moines – et uniquement eux – sont à nouveau sollicités pour donner leur aval sur la conformité de tel ou tel lot. En fin de cycle, une filtration grossière est pratiquée, de façon à donner de l’éclat aux liqueurs, tout en préservant leurs matières vivantes et donc leur possibilité d’évolution en bouteille.
De la mesure
Après des années 1970 et 1980 difficiles, les liqueurs de Chartreuse renouent avec le succès, tant en France qu’à l’international, en particulier en Nouvelle-Zélande, en Australie et aux États-Unis. Partout, ce regain d’intérêt s’explique par leurs vertus digestives et une complexité aromatique unique au monde, plébiscitées par des chefs et des mixologues de renom. Pas de quoi faire tourner les têtes de la congrégation. Discrétion et abnégation restent de mise. Mieux, face à une demande en constante augmentation et compte tenu du temps de vieillissement nécessaire, la tentation de construire une nouvelle cave eut été grande. Rien de tout cela ici. Bien au contraire. Avec Chartreuse Diffusion, les moines font le choix d’une croissance limitée. Et pour cause. Les activités de la distillerie occupent déjà grandement la communauté. Il est impensable qu’elles l’accaparent davantage. Surtout, produire plus pour gagner plus n’a pas de sens pour l’ordre des Chartreux. Limiter le développement des liqueurs s’impose donc à eux, laissant dès lors la place à des projets de diversification autres. C’est ainsi qu’en février 2021 Chartreuse Herboristerie voit le jour. Un retour aux sources pour les moines, héritiers de longue date de traditions apothicaires de soins et de bien-être. À la clef, quatre tisanes pour la détente, la digestion, les voies respiratoires et les articulations, qui en appelleront d’autres…