En quelques années, ce Chilien, diplômé d’un doctorat de l’Institut national agronomique Paris-Grignon, s’est imposé dans le monde entier comme un expert des terroirs et de leurs relations aux vins. L’Athenaeum vient d’éditer la version française de son livre Un vin, une roche. Retour avec lui sur son approche, cet ouvrage, « sa » Bourgogne…
Comment définiriez-vous la notion de terroir ?
De manière assez cliché, tout le monde la décrit comme le triptyque homme-sol-climat. C’est pour le moins réducteur, à plus d’un titre. Cette approche minimise d’une certaine façon le poids de l’homme dans cette relation et de ses interprétations, à l’heure de planter, de tailler, de vendanger… Elle ne tient pas non plus compte de la roche elle-même, ni de la vie à l’intérieur. Or, la plupart des grands vins sont issus de terres pour le moins rocailleuses ! Sans parler de la température du sol par exemple. Donc, à y regarder de plus près, pour les professionnels, la notion de terroir est beaucoup plus complexe que la vision triangulaire généralement partagée.
Comment le terroir tel que vous l’imaginez influe sur le vin ?
Comprendre cette relation suppose avant tout de changer de modèle. Analyser le sol des vignes sans s’intéresser à leurs vins pose problème, non ? Contrairement à la plupart de mes confrères donc, j’ai pris comme postulat de départ d’aller du vin vers le terroir. Concrètement, à partir de 2006, en parallèle de mes investigations géologiques, j’ai commencé à éduquer mon palais, en dégustant de manière méthodique. Pendant des années, 5% de mes revenus étaient ainsi consacrés à l’achat de bouteilles pour mes dégustations du lundi matin. Mieux, au contact de deux grands œnologues italiens, Alberto Antonini et Attilio Pagli, j’ai découvert une autre façon d’apprécier le vin. Moins Nouveau Monde, plus européenne, elle se concentre davantage sur la texture en bouche que sur les arômes et la couleur. Or, si ces deux derniers peuvent aisément être maquillés en cave, les sensations en bouche, elles, ne mentent pas. Elles sont l’expression d’un sol, d’une roche… Impossible par exemple d’obtenir des vins tout en tension, en minéralité, en pureté et en légèreté, si chères à Jean-Marc Roulot, sur des sols argileux. Par nature, ceux-ci sont sources de rondeur. À l’inverse, cette typicité appelle des sols peu profonds, de limon ou de sable, et des roches fracturées en nombre, très sèches et blanches, signes d’une faible oxydation des fers et donc d’une moindre présence d’argile.
Pour autant, deux vins de domaine différent, issus d’un même sol, ne sont pas nécessairement identiques…
Bien sûr. C’est là que le facteur humain dont je parlais précédemment a toute son importance. À chaque vigneron sa vision. Prenez les Charmes en Meursault. Dominique Lafon et Jean-Marc Roulot en livrent chacun une interprétation différente. Travailler pour l’un ou pour l’autre nécessite donc de comprendre son approche du vin, son palais et, pour ce faire, de déguster avec lui. Une fois sa personnalité saisie, je suis plus à même de répondre à ses attentes, en identifiant les parcelles en adéquation avec cette typicité et, ce faisant, au besoin, en guidant l’œnologue dans ses interventions en cave. Je ne vais évidemment pas lui donner la marche à suivre. Je n’ai pas les outils pour cela, ce n’est pas mon domaine de compétences. Mais, d’une certaine façon, je fixe plus précisément le cap. Pour toutes ces raisons, mon approche se distingue nettement, je crois, de celle fournie par d’autres consultants en terroirs.
Justement, aujourd’hui, en quoi consiste votre travail ?
Je consacre désormais 70% de mon temps à mes vins. Je suis passé de l’autre côté de la barrière en devenant vigneron. Cela a complètement changé ma façon d’opérer en tant que consultant. Je suis devenu beaucoup plus pragmatique, moins théorique, moins descriptif. Les changements conseillés, même s’ils sont nécessaires, se révèlent parfois impossibles à mettre en place parce que trop nébuleux, trop coûteux… Maintenant que j’élabore mes propres vins, je veille à être plus compréhensible et réaliste dans mes recommandations. À quoi sert d’expliquer à un vigneron qu’il dispose d’argiles très fines de la famille de montmorillonites ? La vraie question serait plutôt de savoir ce que cette donnée change en termes de taille ou de vinification !
Pourquoi ce livre ? Vous auriez pu continuer votre double vie de consultant et de vigneron sans…
Ma femme, Camila, m’a sensibilisé à l’utilité d’écrire cet ouvrage pour garder en mémoire mon parcours et mes travaux. Sa finalité est donc avant tout personnelle. Par ailleurs, force est de constater que, s’il existe d’excellents ouvrages sur la géologie ou encore la microbiologie des sols, rien en revanche n’a été édité sur leurs rapports aux vins et aux vignerons. Enfin, mon ami Alan York, figure emblématique de la biodynamie, m’a fortement incité à publier. Lui n’en a pas eu le temps. Il est parti trop tôt. Je me devais de le faire.
La Bourgogne occupe une place importante de votre ouvrage…
Dès le début de ma carrière, j’ai eu la chance de travailler régulièrement dans ce vignoble. J’ai été très vite interpellé par l’immense variété d’échelles de ses terroirs. Le macro et le micro s’y côtoient comme nulle part ailleurs dans le monde. C’est également là que j’ai commencé à apprendre à déguster le vin au côté de Louis-Michel Liger-Belair. Depuis, mon palais est bourguignon !