Peintre, sculpteur et auteur de bandes dessinées, ce féru d’alpinisme qui se destinait à devenir guide de haute montagne signe La dernière reine, en lice pour le Fauve d’or de la 50ème édition du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. L’occasion d’évoquer ensemble son approche, sa perception du monde, ses envies…
Votre parcours est riche d’allers-retours constants entre art et alpinisme : que vous apportent ces deux disciplines ?
Une respiration ! Toute personne qui reste constamment dans un même univers finit la tête dans le guidon. Passer de l’un à l’autre me permet de prendre du recul, de revenir à la tâche, l’œil frais. Et puis, au-delà de ça, ces expériences s’enrichissent. Quand je peins, je ne vois pas le monde de la même façon que lorsque je dessine ou que je suis sur une voie.
Pourquoi avoir eu envie de les réunir dans des romans graphiques de montagne ?
Difficile à dire… Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’à partir du moment où je me suis lancé dans cette aventure, j’ai commencé à rencontrer un certain succès. Une fois que, dans mes ouvrages, j’ai accepté de parler de mon expérience personnelle en montagne et, parallèlement, de dessiner en tant que peintre, j’ai touché un public de plus en plus large, d’Ailefroide à La dernière reine, en passant par Le loup. Une prise de conscience assez tardive malheureusement…
La dernière reine est présentée comme votre œuvre la plus aboutie : partagez-vous ce sentiment ?
Oui ! Il s’agit effectivement, à mes yeux, de ma bande dessinée la plus aboutie, parce que la plus personnelle. Le fruit d’une certaine maturité tant artistique que scénaristique. C’est la première que je réalise entièrement seul.
Pourquoi cette volonté ?
Pour Ailefroide, j’avais ressenti la nécessité d’un regard extérieur, une personne qui me mette à distance par rapport à l’objet de ce livre, à savoir ma propre histoire. Sur Le loup, une coloriste était intervenue. Cette fois, du scénario à la colorisation, je voulais être totalement seul aux manettes, histoire de voir ce que cela donnait… Et puis, j’ai davantage pris confiance en moi, notamment en matière d’écriture.
De ce point de vue-là, La dernière reine témoigne d’une certaine économie de mots…
Contrairement au Loup, je ne voulais pas de récitatif dans cet album-ci. Pas de texte externe donc qui éclaire la situation ou l’action. À mes yeux, l’histoire ne le supporte pas. Les dialogues suffisent. En fait, j’ai vite été surpris par la logique avec laquelle le récit se construisait de lui-même. Chaque fois qu’un problème pointait dans le scénario une solution toute simple s’imposait comme une évidence. Pas besoin de faire entrer une seule idée au chausse-pied. La conséquence sans doute d’un point de départ crédible, solide : un enfant qui, en 1898, voit le dernier ours du Vercors mort, en âge plus tard de faire la guerre de 14-18, dont il revient la gueule cassée, avant qu’une sculptrice de Montmartre ne lui refasse le visage…
Derrière l’histoire d’amour qui va naître de cette rencontre, la noirceur de votre trait interpelle : ainsi va votre perception du monde ?
Je suis assez noir et pessimiste. Il y a de quoi, non ? Prenez la nature : c’est la vie, notre raison d’être sur Terre. Je ne peux pas imaginer qu’elle disparaisse. Or, à l’évidence, l’homme vit en dehors, voire en opposition à elle. Une aberration. Contrairement à ce que pensait l’écolo que j’étais dans les années 70, la raison ne l’a pas emporté. La liberté, le souffle, je les retrouve donc en montagne, par beau temps. Là, tout s’éclaire, à l’image des quelques pages nettement plus lumineuses de La dernière reine, celles où les deux héros se retrouvent sur les sommets. C’est pour cela que j’habite dans le massif des Écrins, au bout d’une route coupée sur 7 km.
Vos dessins, eux, semblent de plus en plus abstraits au fil de vos ouvrages : quelles sont vos sources d’inspiration ? Soutine est souvent évoqué dans vos bandes dessinées…
Il y a chez lui une vie, une présence de la chair, de la matière, qui me parlent. Mais, cette approche m’a longtemps coupé de tout un public adepte, lui, de la ligne claire d’un Tintin, et donc d’un dessin à la fois plus lisible et plus épuré. Plus maintenant, heureusement.
Et, demain justement ?
La dernière reine a réclamé trois années de travail… À ce jour, à 67 ans, je n’ai plus l’envie ni l’énergie de me lancer dans une nouvelle aventure de ce genre. Donc, sauf à avoir une révélation et, avec elle, une histoire qui me porte, ce sera ma dernière bande dessinée. Mais, cela ne veut pas dire que j’arrête toute forme de création. Je rédige en ce moment un livre sur l’hivernage. L’écriture permet je trouve d’aller plus en profondeur. Et prochainement, je compte bien revenir à la sculpture et à la peinture…