À la fin des années 1980, le célèbre éditeur a déjà le nez creux : il est le premier à racheter les droits de mangas au Japon pour la France. Aujourd’hui, sa maison est le leader de ce marché dans l’Hexagone. À l’heure d’aborder ce genre, l’interviewer s’impose !
Quelle a été votre première rencontre avec les mangas ?
Depuis toujours, Glénat est à la recherche d’auteurs originaux, dans le monde entier. Nous avons ainsi été les premiers à signer les sud-américains Quino, Pratt, Mordillo… De sorte que m’envoler pour Tokyo, à la fin des années 1980, afin de voir ce qu’il s’y passait, me paraissait naturel. En toute franchise, j’avais une petite idée en tête : vendre aux Japonais nos bandes-dessinées franco-belges. Force est de constater que ça n’a pas marché comme prévu. S’ils ont fini par adapter Les passagers du vent, mais sans le succès escompté, ils m’ont surtout mis entre les mains Akira puis Dragon Ball, dont j’ai acheté les droits. Je trouvais ces graphismes assez proches des nôtres, en termes de format, de nombre de cases, de traité… J’imaginais qu’ils pourraient rencontrer un certain public en France.
Et là, dans l’Hexagone, succès immédiat ?
Pas du tout ! Vendus en kiosque d’abord, les mangas n’intéressaient pas grand monde. Ce n’est qu’une fois en librairie qu’ils ont fait parler d’eux. Et de quelles façons ! Les mères de famille étaient vent debout. « Déjà que nos enfants ne savent pas lire, les inciter à le faire de droite à gauche est criminel ! », « Vous allez les rendre analphabètes ! », « C’est très violent ! »… J’ai tout entendu. Reste que, petit à petit, les avions pour Tokyo se sont remplis d’éditeurs français désireux de se positionner sur ce nouveau marché.
Comment expliquez-vous l’engouement finalement rencontré ?
Le manga est très populaire. Vous le trouvez désormais partout, et pas uniquement dans des librairies spécialisées. Je me souviens encore de tous ces libraires généralistes qui, il y a plus de 20 ans, m’affirmaient droit dans les yeux : « Chez moi, Monsieur Glénat, JA-MAIS ! ». Aujourd’hui, ils se sont ravisés. Par ailleurs, le manga reste très accessible : son prix est ici plafonné à 6,95€. Et puis, les récits sont parfaitement calibrés pour leur cible. Il existe des mangas pour adolescents, homos, ouvriers, séniors… Enfin, leur rythme de publication joue pour eux. Là où les amateurs de Sambre doivent attendre 6 ans pour un nouvel opus, ceux de One Piece patientent à peine 2 mois…
Pour autant, est-il aisé d’éditer des mangas ?
Nous sommes tributaires du Japon et de ses créations. Si rien ne sort là-bas, nous n’avons rien à proposer ici. Pour autant, tous les mangas japonais ne sont pas forcément adaptables en France. À l’inverse, certains d’entre eux semblent avoir été créés pour nous, telles Les Gouttes de Dieu. Encore faut-il les dénicher ! Et, derrière, obtenir les droits ! Dans ce domaine, les éditeurs japonais se montrent particulièrement exigeants. Tout se joue principalement sur les conditions de lancement de leurs séries. Celui qui propose les plus importants tirages, mises en place et campagnes de communication a des chances de l’emporter. Sans parler de la gestion du quotidien ensuite, à l’image par exemple de One Piece et de ses 103 volumes dont tous les libraires veulent pouvoir disposer… Donc, non, éditer des mangas n’est pas à la portée de tout le monde. C’est un métier. Glénat dispose ainsi d’équipes permanentes, dédiées, à Paris et à Tokyo.
Et l’avenir du manga en France ?
Pendant le Covid, la demande a été très forte. Compte tenu de difficultés d’approvisionnement en papier et d’autres problèmes de tirage notamment, nous n’avons pas pu totalement la satisfaire. Aujourd’hui, tout rentre peu à peu dans l’ordre et les ventes restent soutenues. Mais, pour combien de temps ? Nos lecteurs n’ont pas de budget illimité et, surtout, les sources d’approvisionnement commencent à se tarir. Les éditeurs français ont acheté au Japon tout ce qui pouvait se traduire. Il faudrait donc que de nouvelles grandes séries incroyables sortent là-bas pour redynamiser le marché ici…
Un coup de cœur pour finir ?
Je me suis bien amusé à lire Sakamoto days, de Yuto Suzuki, chez Glénat. L’histoire en 3 volumes d’un ex-tueur de légende, devenu épicier de quartier, qui doit reprendre du service…