Aujourd’hui cheffe de projet biodiversité et sols vivants pour une maison de cognacs, cette ingénieur agronome, diplômée en œnologie, cosigne, avec son père, Yves Darricau, La vigne et ses plantes compagnes.Un ouvrage sur le passé, le présent et le futur de l’agroforesterie.
Comment en êtes-vous venue à vous pencher sur ce « compagnonnage végétal » de la vigne ?
Passionné d’arbres et de vins, mon père nous a transmis leur amour. Enfants, ma sœur et moi avons passé des week-ends entiers dans les jardins botaniques ou sur la route des vignobles. C’est le point de départ de ma double formation, puis de ce stage de fin d’études, en 2017, en Italie, dans une structure de conseils pour les viticulteurs, vignerons et arboriculteurs en agriculture bio. Là, lors de mes déplacements, la présence d’arbres disséminés hors des rangs, voire dedans, m’a interpellée. De quoi trancher avec l’impeccable monoculture que nous connaissons aujourd’hui. Celle d’une vigne menée à la baguette, sur des sols nus. Piquée au vif, j’ai interrogé mon père, nous nous sommes documentés…, avant d’écrire ce livre à quatre mains.
La vigne n’a donc pas toujours été esseulée, sur des parcelles sans fin ?
Non, bien au contraire. De nombreux écrits, ornements, peintures… témoignent d’un compagnonnage vieux de plus de 2000 ans. Ici, des vignes courant d’arbre en arbre ; là, un pied adossé à un orme, avec la mention « Non solus » gravée. Parce qu’elle est avant tout une liane, la vigne s’est développée, a fleuri et fructifié au contact de supports. Jusqu’à ce que, au début du XXe siècle, la mécanisation et, avec elle, la spécialisation des cultures ne voient disparaître petit à petit ces compagnons de longue route.
Quelles sont historiquement les principales fonctions de ces plantes ?
À l’origine, elles accompagnaient la vigne dans son développement, son pied grimpant le long de l’arbre choisi. Ce dernier pouvait alors lui aussi contribuer à l’équilibre financier de l’exploitation en apportant du fourrage pour les bêtes (orme, érable, frêne…) ou des fruits pour la famille (olivier, figuier, pêcher, cerisier, prunier, noyer…). Reste qu’avec le temps, ces « supports vivants » ont été délaissés au profit de piquets, tuteurs et autres échalas. De ce point de vue, planter des chênes, des acacias ou encore des châtaigniers s’avère utile. Sans parler du jonc, de l’osier ou encore du seigle, sources eux des liens nécessaires à la conduite de la vigne, ni des bois à barriques (aulne, châtaignier, chêne, frêne, hêtre, mélèze…) ou à bouchons (chêne-liège)…
Demain, les pratiques de l’agroforesterie dépasseront largement le cadre de la seule vigne…
C’est notre point de vue. Mon père et moi n’avons pas la science infuse. D’autres experts ont certainement des approches différentes sur le sujet. Mais, à l’évidence, les vignerons ont un impact très fort sur le paysage, tant en matière de biodiversité que d’esthétique. Forts de ce constat, nous avons réuni un certain nombre de propositions pour demain. À commencer par la réintroduction d’arbres mellifères et fruitiers à l’heure où, en Europe, 37% des populations d’abeilles sont menacées d’extinction et où 75% des insectes ont d’ores et déjà disparu ces 30 dernières années. Autres suggestions, le retour de l’herbe qui revitalise les sols ainsi des haies et arbres isolés en lisière de parcelles pour attirer les chauves-souris et oiseaux, grands amateurs de petits prédateurs de la vigne. À cela s’ajoutent de nombreuses pistes de réflexion autour du climat ; diverses études étant menées actuellement pour tenter de savoir si oui ou non la présence d’arbres dans les vignes influe sur leur micro-climat…
Avez-vous le sentiment que les vignerons s’emparent de cette question du compagnonnage végétal ?
Suite à la sortie de notre livre, nous recevons quelques sollicitations et témoignages qui attestent d’un certain intérêt pour le sujet. Un signe parmi d’autres d’une prise de conscience. Et ce d’autant plus que tous les vignerons, quels qu’ils soient, peuvent agir. Ne serait-ce que dans les zones délaissées, comme le contrebas des parcelles et, à l’inverse, sur les collines, où il est assez aisé de remettre de la biodiversité, de re-naturer les vignes…