« Je suis né en 2018 ! », se plaît à répéter cet œnologue jurassien. Et pour cause, cette année, il quitte enfin la coopérative rejointe en 2007. Le début de nouvelles aventures et expériences sur ses 10 ha de vignes des alentours de Château-Chalon. En fil rouge, une grande curiosité, à l’image d’un parcours atypique et d’un héritage singulier. Tel ce Château-Chalon V19 servi pour accompagner nos discussions…
Qu’est-ce que vous venez de déboucher ?
Une création de mon père. S’il n’avait pas été pharmacien, il aurait été vigneron. Cette passion, il l’a assouvie de 1989 à 2005, en dilettante. En témoigne ce Château-Chalon qui a trainé 19 ans en cave, avant que je le mette en bouteille en 2017. Faire du vin, pour moi, c’est ça : prendre le temps, être libre, sortir de toute logique commerciale.
Justement, que diriez-vous de votre approche ?
Je suis un stakhanoviste du savagnin. Aujourd’hui, il représente 80% de mes vignes, disséminées en une quarantaine de parcelles. Ce cépage est nôtre : il est endémique du Jura. Je me vois aussi comme un terroiriste. Cette fois, c’est mon côté bourguignon qui parle. Je ne sais pas assembler comme Pierre Overnoy. Je laisse donc chaque terroir faire son œuvre et son vin. À l’instar de Jean-François Ganevat, j’ai choisi de ne pas choisir.
La libre expression du terroir suppose tout de même un cadre, des pratiques… ? Lesquels ?
Pas de soufre ajouté d’abord. L’impact sur le vin est immédiat. Il les décolore, les écrase… Cette lourdeur me pèse, sur les blancs de Bourgogne notamment. Pas toujours facile d’y retrouver de la fraîcheur. Heureusement, il y a Marc Soyard, Vincent Dancer ou encore Antoine Petitprez. Bref, je ne sulfite plus du tout depuis 2015. Notre terroir le permet. Les vins issus de marnes, comme ici, se révèlent plus rustiques. Très fraîches, nos caves l’autorisent aussi. Par ailleurs, j’affectionne les élevages prolongés. Mes 2018 ont 3 ans. C’est génial pour stabiliser les vins, surtout lorsqu’ils ne sont pas sulfités, pas filtrés, pas collés… Ils en ressortent clairs, bien sédimentés.
Et le bio ?
J’étais certifié ; je ne le suis plus. Je comprends mal que celui ou celle qui fait propre doive se justifier, à l’inverse de ceux qui ne le sont pas. La biodynamie me parle davantage, comme les liens établis entre lunes et mises en bouteilles. À condition de ne pas appliquer ces préceptes de façon scolaire. Je n’aime pas trop le systématisme. Derrière ces pratiques, il est surtout question, je pense, de connexion avec ses vignes et leurs vins, de l’idée que notre humeur influe sur leur qualité…
Pas de recettes toutes faites donc ?
Surtout pas ! Rien n’est figé. J’ai beau avoir une formation en microbiologie et en droit, je ne considère pas mon métier comme une science exacte. Quel ennui sinon ! D’où l’utilité d’expérimenter en permanence. En ce moment, je lance une solera, une réserve perpétuelle comme en Espagne. J’espère accompagner mes savagnin ouillés Sous Roche 2018, pendant encore 6, 7 voire 8 ans… Le temps toujours. Un luxe.
La conséquence de la spéculation autour des vins de Jura ?
D’une certaine façon, oui. Elle permet un niveau de prix qui rend mon travail plus confortable. Me voilà davantage riche de moyens, pour entreprendre, avancer… Mais attention, cette spéculation pose question dans le même temps. Il est de plus en plus difficile pour des jeunes vignerons de s’installer ici. Et ce d’autant plus que les terroirs d’appellation des vins se confondent avec ceux du comté, lui aussi très prisé. Pourtant, la place ne manque pas. Avant le phylloxéra, le Jura comptait 20.000 ha de vignes plantées contre 2.000 aujourd’hui. À l’avenir, cette superficie pourrait doubler, sans problème.
Et demain ?
Je me vois bien ajouter à mes vignes un peu de maréchage, un troupeau de bêtes, et du fromage, tiens ! Ça aussi ça m’intéresserait !