Avec David Vandermeulen, cet Ardennais signe l’adaptation en bande dessinée de Sapiens, l’essai à succès de Yuval Noah Harari sur l’histoire de l’humanité paru en France en 2015 chez Albin Michel. Retour sur son travail d’illustrateur, à l’occasion de la sortie récente du deuxième opus de cette saga du 9e art, qui en comptera cinq.
Comment êtes-vous venu à la bande dessinée ?
Tardivement, malgré un père dessinateur… Après mes études aux Beaux-Arts de Reims, je n’avais pas envie de me lancer dans la bande dessinée. Celle des années 1980 était trop réaliste. En un mot, chiante… J’ai préféré me consacrer au théâtre, pendant plus de dix ans. Jusqu’à la naissance de ma fille. Pour elle, j’ai commencé à illustrer des livres pour enfants, avant que l’éditeur canadien Les 400 coups me propose un projet de bande dessinée. À la fin des années 1990, la concomitance de petites maisons d’édition, de formats variés et du noir & blanc me parlaient davantage. J’ai donc dit oui. À 38 ans, je signais l’adaptation d’Ubu Roi d’Alfred Jarry. Sa sélection au festival d’Angoulême faisait le reste. C’était parti !
Et Sapiens arriva…
Oui, bien des livres plus tard. Martin Zeller était mon éditeur chez Casterman. Nommé à la tête de la bande dessinée d’Albin Michel, il souhaitait, je pense, en utiliser le fond. Vu l’ampleur du projet, il a dû se dire qu’un vieux « couple » d’auteur-illustrateur s’imposait. David et moi travaillons ensemble depuis longtemps. Il écrit pour mon dessin. En 2019, parmi d’autres prétendants, c’est nous que Yuval a choisis.
Comment vous êtes-vous organisés ?
David et moi avons relu Sapiens, avant de nous rendre à Tel Aviv pour rencontrer Yuval. Lui n’avait jamais lu la moindre bande dessinée de sa vie. Nous pensions pouvoir faire notre petite cuisine dans notre coin, tranquilles. Pas du tout ! Le garçon apprend vite. Il avait plein d’idées ! Et nous, onze mois pour les mettre en forme, avec l’aide d’une équipe de près de vingt personnes dispatchées entre France et Israël.
L’adaptation d’un livre en bande dessinée réclame-t-elle un travail particulier ?
Dans ce cas précis, oui. Sapiens est un essai et non un roman. Il a fallu créer des systèmes narratifs qui permettent une représentation des idées sous forme de dialogues. Nous avons donc imaginé toute une série de personnages annexes, tels des scientifiques, ce couple de la préhistoire Bill et Cindy ou encore le super-héros Doctor Fiction. Les trois couleurs utilisées jouent aussi un rôle : elles séquencent les différents chapitres et donnent du rythme. À l’instar des journaux et magazines insérés çà et là, des allers-retours dans le temps… C’est du boulot ! Sans parler des reprises et changements à faire : ici, un costume qui ne colle pas ; là, un élément de décor inexact…
Heureusement, ce deuxième opus s’est fait plus facilement que le premier, non ?
Absolument pas ! Tout le contraire ! L’effet de surprise côté lecteurs joue moins. Il faut être encore meilleur. En plus, sur ce second tome, nos systèmes narratifs, comme nos premiers découpages, ne fonctionnaient pas bien. Nous avons dû les reprendre. Last but not least, David est tombé malade du Covid… Au final, onze mois ont là encore été nécessaires.
Vous avez encore trois tomes à réaliser : ne craignez-vous pas de vous lasser ?
Pas le moins du monde. Dessiner, c’est mon boulot. En la matière, j’ai un vrai rythme de fonctionnaire. Je me lève de bonne heure, pour me mettre à l’ouvrage, jusqu’à 19h. Entre, je m’accorde une heure de pause, dont une petite sieste. Et puis, j’ai d’autres occasions de me détendre, notamment un projet de bande dessinée avec l’écrivain Franck Bouysse. Une récréation, à côté de Sapiens…