Cet éditeur de renom, à la tête de Stock depuis 2013, signe en ce début d’année Le retournement chez Grasset, son ancienne « maison ». Parfait pour aborder LE sujet brûlant du moment côté livres : la rentrée littéraire de janvier.
Quelle est l’origine de cette autre rentrée littéraire ?
Elle est née d’une forme de frustration. Pour la plupart des éditeurs et auteurs, rentrée littéraire rime avant tout avec août. C’est l’évènement. Un peu comme le festival de Cannes : même mal assis et sans prix, chacun est content d’en être. Du moins, jusqu’à ces dernières années. Car, il était devenu de plus en plus difficile d’absorber cet invraisemblable embouteillage de la mi-été. D’autant que, dans les faits, il s’étend jusqu’à décembre. J’ai pu le vérifier cette année encore avec le dernier livre de Clara Dupont-Monod, S’adapter, sur lequel nous avons travaillé sans discontinuer jusqu’à fin 2021. La nécessité de trouver un autre espace de lancement s’imposait.
À quels auteurs se destine cette rentrée littéraire de janvier ?
Initialement, elle était plutôt réservée à des écrivains reconnus, d’ores et déjà auréolés de prix. Pourquoi des Philippe Claudel, Érik Orsenna, Michel Houellebecq, Didier Decoin… iraient-ils jouer des coudes en août ? Cela n’a pas de sens. Et puis, progressivement, cette possibilité de paraître dans une période moins embouteillée a séduit un plus large panel d’auteurs. Adrien Bosc, par exemple, était heureux de lancer son nouveau roman Colonne en janvier. C’est lui qui me l’a demandé. Tout comme je l’ai fait, auprès de Grasset, pour mon livre Le retournement. En tant qu’éditeur, je peux difficilement prétendre à un prix littéraire. Et puis, j’estime que la nature complexe de cet ouvrage réclame une attention soutenue. Sans parler du fait qu’il aurait été totalement impossible de gérer en même temps son lancement et le tunnel de la rentrée littéraire d’août.
En quoi consiste votre travail d’éditeur en janvier ?
Il est un peu toujours le même. Après avoir sélectionné et travaillé les manuscrits, il s’agit de veiller à ce que les premiers exemplaires des livres soient prêts à être adressés aux libraires début décembre, de façon à ce qu’ils les aient lus pour la rentrée et, le cas échéant, partagent leurs coups de cœur. Il en va de même avec les critiques littéraires. À peine sorti des rotatives, le livre de Didier Decoin, Le bureau des jardins et des étangs, avait ainsi fait l’objet d’un diner de lancement en décembre, auprès de journalistes, avant de connaître un certain succès.
Être auteur désormais modifie-t-il votre regard sur votre métier d’éditeur ?
Cette question mériterait un article en soi. En synthèse, le fait de publier un livre personnel, fruit de 3 ans de travail, a effectivement changé mon point de vue. Plutôt en bien d’ailleurs. J’ai plus d’empathie pour les angoisses de « mes » auteurs. Je comprends mieux qu’ils soient ravis de rencontrer une poignée de lecteurs en dédicace ou de participer à une émission à faible audience 1 heure durant. Ce besoin d’écoute, je ne le mesurais pas.
Quel autre sentiment vous inspire cette rentrée littéraire ?
Elle s’annonce riche. Hormis une ambiance un peu particulière en raison de la Covid, il y a plein de livres cette année que j’ai envie de lire. Un peu trop même peut-être. La conséquence sans doute des élections présidentielles à venir. Les auteurs réclament d’être publiés avant.
Et chez Stock, à quoi ressemble votre rentrée ?
J’aime beaucoup Colonne d’Adrien Bosc. Un très beau livre, à la fois accessible et lumineux, sur un sujet pourtant difficile (l’engagement de la jeune philosophe Simone Weil dans la guerre d’Espagne en 1936, ndlr). Laurence Tardieu signe également un roman étonnant. D’une aube à l’autre raconte les 158 jours de combat de son fils contre une maladie diagnostiquée le premier jour du confinement. Un tunnel dans le tunnel. Une ode à la vie.